Ou : « The Tragedy of Othello: The Moor of Venice »
A Venise, le Maure Othello, général victorieux, épouse Desdémone malgré la ferme opposition du père de la jeune fille. Envoyé à Chypre pour combattre les turcs, Othello est victime du complot de son lieutenant Iago : il insinue que sa jeune épouse le trompe avec Cassio, un autre de ses lieutenants… Othello est la deuxième des trois adaptations de Shakespeare par Orson Welles (1). Le tournage fut difficile et compliqué, principalement par manque d’argent ; il s’étala sur trois années. Orson Welles utilise merveilleusement les décors extérieurs d’une forteresse en bord de mer et multiplie les cadrages audacieux qu’il monte le plus souvent en plans très courts. De la pièce, Welles a fait une adaptation sélective : il a réduit le texte de Shakespeare sans le dénaturer, restant fidèle à l’esprit. Les acteurs ont tous un jeu parfait. L’interprétation d’Orson Welles est magnifique, à la fois puissante et sobre. Othello d’Orson Welles est considéré par beaucoup comme l’une des meilleures adaptations de Shakespeare à l’écran.
Elle: –
Lui :
Acteurs: Orson Welles, Micheál MacLiammóir, Robert Coote, Suzanne Cloutier, Michael Laurence
Voir la fiche du film et la filmographie de Orson Welles sur le site IMDB.
Voir les autres films de Orson Welles chroniqués sur ce blog…
Voir la critique sur le site DVDClassiks…
Voir les livres sur Orson Welles…
Voir le livre Macbeth-Othello sorti chez Carlotta…
Orson Welles (Othello) et Micheál MacLiammóir (le fourbe Iago)
Remarques :
* L’acteur Micheál MacLiammóir (Iago dans le film) a tenu un journal pendant le tournage qu’il a ensuite publié sous le titre Put Money in thy Purse.
* Orson Welles a tourné un documentaire en 1978 pour la télévision allemande : Filming Othello. Ce film de 80 minutes ne contient pas de document d’époque sur le tournage, il s’agit d’une série de réflexions de Welles à postériori sur le tournage d’Othello et sur le cinéma, avec des discussions avec Micheál MacLiammóir (Iago) et Hilton Edwards (Brabantio).
* Les décors sont l’oeuvre du grand chef-décorateur français Alexandre Trauner.
* Principales autres adaptations d’Othello :
Othello de l’allemand Dimitri Buchowetzki (1922) avec Emil Jannings
Othello du russe Serge Youtkevitch (1956) avec Serge Bondartchouk
Othello de l’anglais Stuart Burge (1965) avec Laurence Olivier
Otello de Franco Zeffirelli (1986), l’opéra de Verdi avec Placido Domingo.
Othello d’Oliver Parker (1995) avec Laurence Fishburne
Othello 2003 (« O ») de Tim Blake Nelson (2001), version rajeunie…
Othello de Mikael Kreuzriegler (annoncé pour 2015)
Et aussi :
Othello (A Double Life) de George Cukor (1948) qui, malgré son titre français, n’est pas une adaptation de la pièce de Shakespeare mais une histoire qui a pour personnage principal un acteur jouant Othello au théâtre.
(1) Orson Welles a également adapté Macbeth en 1948 et Falstaff en 1965.
LE MORE A VENISE
Persona non grata à Hollywood, Orson se tourne vers l’Europe et continue d’expérimenter. Après Macbeth il poursuit sa saga shakespearienne. Othello est un tournage foutraque, interminable, changeant de pays et de nationalité, tourné avec des bouts de ficelle, et c’est cette pauvreté de moyens qu’Orson va utiliser au mieux. D’ailleurs on peut se demander : aurait-il réussi aussi bien s’il avait bénéficié des moyens confortables d’une production hollywoodienne courante?
Othello, comme Kane, commence par la fin avec les disparitions des personnages titres, ce qui autorise Orson d’abréger la longue fin de la pièce, le film durant 1h30 chrono ce qui pour un Shakespeare…Dès l’exceptionnelle ouverture convoquant Eisenstein et l’expressionnisme pour les funérailles d’Othello et son épouse Desdémone à Chypre, le ton baroque est donné, puis nous voilà transportés en flash-back à Venise où Othello, maure d’Afrique, général, guerrier naviguant dans un monde d’hommes, arrive après de longues errances aventureuses pour s’y marier secrètement avec une blonde vénitienne, fille de sénateur, à l’insu de celui-ci. L’homme noir et la femme blanche. Comment se sont ils connus ces deux là, mystère? A peine arrivé il est envoyé par le Doge de la Sérénissime République de Venise prendre et commander la place forte de Chypre menacée par les Turcs. Orson a tourné toutes ces scènes à Essaouira, alors ancienne ville de Mogador au Maroc, tirant profit au mieux de ce décor naturel. Comme l’eau de la lagune qui s’infiltre peu à peu dans les palais vénitiens ou les vagues de la mer se fracassant sur les murailles chypriotes, le noeud du film qui coule lentement dans l’esprit d’Othello jusqu’à le rendre fou est le poison que lui distille goutte à goutte l’envieux Iago, son porte étendard et âme damnée, parce qu’il ressasse une vieille rancune envers son maître. La jalousie peut mener au pire et c’est ce qui advient.
Orson interprète Othello, visage au brou de noix, anneau à l’oreille, cheveux frisés, regards caméra avec intensité « Je ne suis pas ce que je suis », pendant d’ « Etre ou ne pas être » : chaque homme tue ce qu’il aime, et les mains du More serreront le noeud coulant autour du cou de l’infortunée Desdémone. Le rythme hyper rapide du montage étourdissant, souvent des plans de fractions de seconde, mélangeant interprètes et lieux entre deux raccords, la beauté des cadrages de la magnifique photo contrastée en N&B, la construction du film en font une totale réussite.
Dans « Filming Othello », long métrage 16mm tourné en 1978, Orson revient trente ans après sur les péripéties de ce tournage commencé à Venise en septembre 48 jusqu’à sa présentation à Cannes en 52 où il reçoit le grand prix. C’est sans doute la première fois qu’un cinéaste consacre un film entier à raconter un de ses films, sorte de making off, rétrospectif, avant la lettre. Truffé d’anecdotes assorties d »extraits, c’est savoureux d’assister à ce récit épique qui a obligé littéralement Orson à inventer des idées fourmillantes de mise en scène, comme ce moment ou l’équipe sans argent ni costumes se met à tourner une des scènes de crime en la plaçant dans les bains maures (créés de toute pièce dans le marché aux poissons tel quel), économisant ainsi sur le prix des costumes (la séquence est par ailleurs remarquable d’inventivité avec ses grandes ombres et ses flots de vapeur)