Titre original : « Tôkyô monogatari »
Autre titre français : « Conte de Tokyo »
Un couple de provinciaux âgés vient à Tokyo rendre visite à leurs enfants. Leur fils, médecin de quartier très pris par son travail, et leur fille, commerçante grincheuse et égoïste, ne leur accordent que peu de temps et cherchent à s’en débarrasser en demander à leur belle-sœur de leur faire visiter la ville…
Pour beaucoup d’amateurs de cinéma, la découverte du cinéma de Yasujirô Ozu s’est faite avec Voyage à Tokyo qui fut son premier film à être distribué largement en France à la fin des années soixante-dix. Et ce fut un choc car son cinéma ne ressemblait à rien de ce que nous avions vu précédemment : plans fixes, caméra très basse (de ce fait les personnages, même accroupis, sont toujours vus en légère contre-plongée, ce qui les valorise sans toutefois que le spectateur en soit conscient), les champs-contrechamps à 180 degrés et les regards-caméra des acteurs (1)(ce qui nous met vraiment dans la peau des personnages), les très beaux plans (vides) de transition, la photographie épurée, les plans graphiques, le déroulement très placide du récit avec de vastes ellipses impromptues et surtout cette grande douceur et cette sensation d’harmonie et de sérénité qui se dégagent de ses images. Ozu nous immerge totalement, nous avons l’impression de partager étroitement la vie de ces êtres, le choc purement cinéphilique étant renforcé par le choc culturel. Le fond du propos de Voyage à Tokyo est la déliquescence des liens familiaux du fait de la modernisation de la société japonaise. Le contraste de l’égoïsme des enfants avec la grande pudeur du père ou l’altruisme de la belle-fille viennent appuyer le propos. Ozu n’a besoin d’aucun effet dramatique pour cela. Comme les meilleurs films d’Ozu, Voyage à Tokyo donne l’impression de nous traverser et transformer un petit quelque chose au fond de nous.
Elle:
Lui :
Acteurs: Chishû Ryû, Chieko Higashiyama, Setsuko Hara, Haruko Sugimura, Sô Yamamura, Kuniko Miyake, Kyôko Kagawa, Eijirô Tôno
Voir la fiche du film et la filmographie de Yasujirô Ozu sur le site IMDB.
Voir les autres films de Yasujirô Ozu chroniqués sur ce blog…
Remarques :
* Voyage à Tokyo a été écrit par Yasujirô Ozu et Kôgo Noda, son fidèle collaborateur avec lequel il a écrit pratiquement tous ses films des années cinquante et soixante.
* Chishû Ryû est particulièrement bien vieilli car l’acteur a moins de cinquante ans lors du tournage. Il fait une prestation remarquable.
* Voyage à Tokyo n’est sorti en France qu’en 1978 (Etats-Unis : 1964)
(1) Regard caméra = l’acteur regarde en direction de la caméra. Très tôt dans l’histoire du cinéma s’est établie la convention que l’acteur ne doit jamais regarder la caméra. A noter, toutefois, que techniquement parlant dans les films d’Ozu, ce n’est pas exactement un regard caméra, les acteurs regardant très légèrement au dessus ou à côté de la caméra, mais l’impression pour le spectateur est (presque) la même que le regard caméra.
Je fais partie de ces amateurs de cinéma dont vous parlez et qui ont découvert Ozu grâce à « Voyage à Tokyo ». Encore me faut-il précisément que c’est grâce au DVD et il n’y a pas encore trois ans. Je m’en souviens toutefois comme d’un émerveillement. L’impression qui m’était restée était tout de même celle d’une évolution, les enfants se montrant plutôt accueillant (ou tout du moins respectueux des traditions) au départ, avant d’être égoïstes par la suite. Je me souviens aussi d’une scène où le comportement du père était « limite »… et j’avais apprécié cette nuance, en ce qu’elle détachait le film d’un bête manichéisme.
Merci pour ce cycle Ozu, qui renforce mon envie d’en découvrir d’autres. Cette plongée dans l’intimité des familles japonais est tout à fait fascinante. Qui pour prendre la relève aujourd’hui ? Kore-eda peut-être ?
Bonjour Martin,
Oui, le propos d’Ozu n’est effectivement jamais manichéen : il y a des bonnes raisons et des torts de tous les côtés. Ozu est avant tout un formidable observateur de l’être humain et de l’évolution de la société japonaise de l’après-guerre. En ce sens, ses films ont une vraie dimension philosophique.
Sa qualité d’observateur nous apparait d’autant plus évidente si l’on garde à l’esprit qu’Ozu ne s’est jamais marié. Il a vécu avec sa mère jusqu’à sa mort. En revanche, il me semble que Kôgo Noda était marié, lui (à vérifier).
35 ans après sa sortie en France je viens de refaire ce voyage à Tokyo grâce à la cinémathèque qui organise actuellement une grande rétrospective. C’était en 78 au cinéma Saint André des arts où nous avions couru découvrir cet inconnu d’Ozu, mort déjà depuis 15 ans, cinéaste qui mettait le doigt avec sensibilité, pudeur et humour sur l’impermanence des choses de la vie. Ce chef d’oeuvre universel de 60 ans n’a pas bougé et m’a procuré (dans une copie sublime) la même émotion qu’au premier jour. Lorsqu’on plonge une fois dans un Ozu, on a qu’une seule envie, c’est de continuer, c’est donc à quoi je vais m’employer, d’autant que de film en film on y retrouve la même famille d’acteurs, de personnages, de thématiques, de décors, de formes
Les gens qui n’ont pas vu ce film auront un trou dans leur vie … le meilleur Ozu (19 sur 20)