Titre original : « Tabu: A story of the south seas »
Lui :
(film muet/sonore) Sur l’île de Bora Bora, la jeune et jolie Reri est choisie pour incarner une divinité. Elle est donc déclarée « tabou », c’est-à-dire qu’aucun homme ne doit la regarder comme une femme. Elle s’enfuit avec le jeune pêcheur dont elle est amoureuse… Tabou est issu de la rencontre de deux grands créateurs : Robert Flaherty qui a donné au documentaire ses lettres de noblesse au cinéma depuis Nanouk l’esquimau, 10 ans auparavant, et Friedrich Wilhelm Murnau, le réalisateur d’origine allemande, l’un des plus talentueux du cinéma muet. Tabou est tourné entièrement sur les lieux-même de l’action, avec les autochtones jouant leur propre rôle, deux pratiques extrêmement rares à l’époque. Au grand dam de Flaherty (1), Murnau sait parfaitement introduire une belle et forte histoire d’amour sur ces images de paradis naturel encore intact de toute civilisation moderne. Les images, de Floyd Crosby (2), sont très belles ce qui donne au film une grande dimension poétique. Malgré le drame qui se noue devant nos yeux, il se dégage de Tabou beaucoup d’innocence, d’insouciance, une impression de nature à l’état brut, de paradis. Le film est heureusement muet, la parole semble inutile, les intertitres sont d’ailleurs extrêmement peu nombreux. En revanche, la musique de Hugo Reisenfeld colle parfaitement à l’action et aux images, elle est en parfaite symbiose, modelant l’atmosphère. Tabu fut un grand succès. Ce fut hélas le dernier film de Murnau : quelques jours avant la première, le réalisateur perdait la vie dans un accident automobile en Californie.
Note :
Acteurs: Matahi, Anne Chevalier, Bill Bambridge
Voir la fiche du film et la filmographie de F.W. Murnau sur le site IMDB.
Voir les autres films de F.W. Murnau chroniqués sur ce blog…
Remarques :
* A l’époque, Paramount avait exigé des coupes pour enlever les scènes de nudité. Le montage initial a été retrouvé dans les années quatre vingts. Cette version dure 82 minutes. Elle a été numérisée et restaurée, image et son, en 2005.
* Bien que Tabou ait l’apparence d’un film muet, il s’agit en réalité d’un film sonore : la musique est donc sur la pellicule. La musique (et sa synchronisation avec l’image) est telle que Murnau l’a voulue.
(1) Avant même de commencer à tourner, plusieurs désaccords entre les deux réalisateurs les empêchèrent de co-réaliser le film comme il était prévu. Flaherty désirait préserver avant tout l’aspect documentaire et le fait de faire jouer les habitants était, à ses yeux, trahir la réalité. Il préféra donc s’effacer et laisser Murnau réaliser seul. De plus, il y avait des tensions personnelles. Floyd Crosby raconte : « Murnau aimait Flaherty mais Flaherty haïssait Murnau, en partie parce que Murnau était assez prussien dans ses manières, très sûr de lui et aussi par jalousie : Murnau en savait dix fois plus sur la réalisation que Flaherty ».
(2) Floyd Crosby est le père de David Crosby (Crosby, Stills & Nash). Tabou était son premier film. Il fut ensuite directeur de la photographie sur plus d’une centaine de films dont Le train sifflera trois fois et de nombreux documentaires.
F.W. Murnau, entouré de Reri et Matahi, pendant le tournage de Tabou (1931)
Homonyme :
Tabou (Tabu) du portugais Miguel Gomes (2012)
J’ai moi aussi beaucoup aimé ce film. Écoutant mon instinct et en partie vos conseils, j’ai osé regarder cette histoire muette et je confirme ce que vous dites: le langage n’apporterait rien. C’est incroyable de se dire que le film a 80 ans !
Je vais me pencher sur les autres Murnau à la première occasion. J’ai particulièrement envie de voir l’Aurore.
Bonne journée 🙂
@ Martin K : précipitez-vous sur L’Aurore dès que vous en avez l’occasion — mais c’est le genre de film qu’il faut voir sur grand écran, tant l’image, les lumières et la composition visuelle sont importantes. Beaucoup de critiques s’interrogent pour savoir si c’est le plus grand film de l’histoire du cinéma. Cette formulation est formidable : rares sont ceux qui imposent un classement en disant « c’est le plus grand », mais presque tous ceux qui l’ont vu se demandent si ce n’est pas le plus grand. L’Aurore est au cinéma ce que les plus grandes pièces de Shakespeare sont au théâtre : une totalité, englobant tous les genres et les portant chacun à la perfection… tout en restant fluide, rythmée, cohérente.
Rien que pour Nosferatu et L’Aurore, Murnau est bien plus que « un des plus talentueux du cinéma muet ». C’est LE géant, auquel seul Chaplin peut se comparer.
Je n’ai pas vu Tabou, et à mon tour de dire que vous m’avez donné envie de le découvrir !
Tenant en haute estime Murnau, c’est pourtant un film co-réalisé par Flaherty et Van Dyke en 1929 dans ces mêmes îles qui a été ma grande expérience de cinéphile. Il faut absolument regarder Ombres blanches en complément de Tabou. Deux parmi les plus saisisants travellings de l’histoire du cinéma s’y trouvent. Ce serait un crime de ne pas regarder ce film – d’une grande beauté – sur pellicule – harcelez votre cinémathèque.
@Juan: merci pour cette information. Je ne connaissais pas « Ombres Blanches ».
@Jacques C : je ne peux qu’acquiescer à ce que vous dites sur L’Aurore. C’est un film qui mérite plus que tout autre d’être qualifié d’oeuvre d’art… Il est vrai qu’il est un bon candidat pour être « le plus grand film de tous les temps », (si tant est que l’on puisse établir un tel classement, forcément faussé et réducteur).
A signaler que l’Aurore est ressorti en décembre 2010 en DVD.
@Lui: « Au grand damne… ». N’écrit-on pas plutôt : « Au grand dam … ».
… mais cela ne change rien au plaisir pris à lire vos chroniques.
Damned! Merci de m’avoir signalé cette erreur. Je corrige…
Bien souvent, les films chroniqués dans ce blog sont des oeuvres que j’apprécie, Tabou en fait partie, ce fut vraiment un choc la première fois lors de son visionnement en salle.
PS : @Lui: « Nanouk l’esquimeau… ». N’écrit-on pas plutôt : « Nanouk l’esquimau … ».
… mais cela ne change rien comme dirait chatlibre au plaisir pris à lire vos chroniques, ( ni au goût de l’esquimau vendu en salle; ça c’était avant les pop corns…).
Réponse : Merci de m’avoir signalé cette erreur…
Décidemment, j’ai fait très fort sur cette note!
Il y a dix ans au Cinéma Nova à Bruxelles, magnifique séance : « Tabou » de Murnau accompagné par deux musiciens Indiens… envoûtant.
Pendant le tournage Murnau s’était fait construire sa maison sur un emplacement de l’ïle reputé « tabou » par ses habitants. Elle brûla avant la fin du tournage.
Murnau, rentré en Californie, se tua dans un accident de voiture avec son jeune passager. L’année suivante, le film parlant arrivait.
L’aurore passera à l’Arlequin, au ciné club, à la rentrée, pour ceux qui veulent le voir en grand écran.
On me signale que :
Dans le cadre du Festival d’Ile de France qui se déroulera du 6 septembre au 12 octobre 2014, un ciné-concert sur le film Tabou de F. W. Murnau et R. Flaherty avec le groupe Zone Libre (Serge Teyssot-Gay et Cyril Biblbeaud) sera présenté à Chilly-Mazarin (91) le 3 octobre prochain (http://www.festival-idf.fr/2014/concert/tabou).