Titre original : « Targets »
Lui :
Les origines de La Cible sont assez inhabituelles : Boris Karloff devait par un vieux contrat quelques jours de tournage au producteur/réalisateur Roger Corman. Ce dernier en fit profiter son jeune protégé, Peter Bogdanovich, qui imagina un scénario très original mêlant une certaine nostalgie cinéphilique à une réflexion sur la violence. Il y a deux histoires juxtaposées : l’une concerne un acteur qui désire prendre sa retraite après une longue carrière dans les films d’horreur, l’autre un jeune homme, charmant en apparence, mais qui se met à tirer et tuer au hasard. Bogdanovich oppose, ou met en parallèle, l’horreur de pacotille et l’horreur réelle, non pas pour montrer que l’une a engendré l’autre mais plutôt pour mieux faire ressortir le caractère très ordinaire de la violence réelle : alors que les films utilisent des décors anciens, presque irréels, et des visages à faire frémir, le jeune tueur fou est un garçon tout à fait ordinaire, très calme et poli, anonyme. Peter Bogdanovich montre un réel talent pour mettre cela en images et, de plus, avec très peu de moyens (1). Il parvient à créer une atmosphère paisible qui contraste avec les évènements. Il réussit aussi de superbes plans comme celui de la juxtaposition de Karloff et de son image projetée dans le drive-in (2). A 81 ans, Boris Karloff joue donc son propre rôle et, même, s’en amuse (3). C’est en tout cas un beau moyen de terminer sa longue carrière car, déjà très malade, il n’a que très peu tourné ensuite. Pour Peter Bogdanovich, ancien critique de cinéma, La Cible est un beau moyen de débuter sa carrière de réalisateur. Ce premier film a généralement été apprécié par la critique, ses suivants beaucoup moins… (4)
Note :
Acteurs: Tim O’Kelly, Boris Karloff, Arthur Peterson, Nancy Hsueh
Voir la fiche du film et la filmographie de Peter Bogdanovich sur le site IMDB.
Voir les autres films de Peter Bogdanovich chroniqués sur ce blog…
(1) Le tournage n’a duré que 22 jours. Boris Karloff a tourné cinq jours seulement, allant un peu au delà de ce qu’exigeait son contrat car il aimait beaucoup le projet.
(2) Le film projeté dans le drive-in est L’halluciné (The Terror) de… Roger Corman (1963) avec Boris Karloff et le jeune Jack Nicholson (autre protégé de Corman).
(3) Ce serait Boris Karloff lui-même qui aurait suggéré la scène amusante où, mal réveillé, il a un petit sursaut de peur en s’apercevant dans une glace. A noter que Peter Bogdanovich joue aussi presque son propre rôle : le jeune réalisateur qui désire faire tourner Karloff.
(4) Ses défenseurs (dont je fais partie) se plaisent à affirmer que les critiques ont la dent dure envers Bogdanovich parce qu’ils ne lui ont pas pardonné le succès de son film suivant (The Last Picture Show). « On » aurait sans doute préféré voir cet ancien critique de cinéma faire des films obscurs…
Remarques :
– Samuel Fuller a participé à l’écriture du script (non crédité).
– L’histoire qu’Orlock raconte (le valet qui cherche à échapper à la Mort) est en réalité une courte nouvelle de W. Somerset Maugham, Rendez-vous à Samarra, texte qui a en outre inspiré un livre à John O’Hara intitulé… Rendez-vous à Samarra.
Avec pas moins de six films et quelques apparitions à la télévision, on ne peut vraiment pas dire que Boris Karloff ait « peu tourné » dans les derniers mois de sa vie !
Oui, mais j’ai l’impression que ses six derniers films, sans doute faits à la va-vite, ne sont pas ce qu’il y a de plus mémorable dans sa carrière…