Titre original : « Intolerance: Love’s struggle throughout the ages »
Lui :
Intolérance sortit un an après Naissance d’une Nation pour lequel Griffith s’était vu accusé d’encourager un certain racisme. Il voulu donc, en réponse, faire une vaste fresque contre l’intolérance à travers les âges en prenant quatre moments historiques et en les entremêlant pour créer des parallèles. Ce montage, habile et audacieux (mais engendrant toutefois une certaine confusion chez le spectateur), s’accélère pour devenir bien plus rapide vers le fin du film. Les quatre séquences sont inégales en importance dans le montage final, puisque celle sur la Passion du Christ est plus une simple évocation et celle sur le Massacre de la Saint-Barthélemy (par Catherine de Médicis en 1572) est globalement plus brève que les deux morceaux principaux : The Mother and the Law qui se déroule à l’époque actuelle en 1914 et Le Festin de Balthazar dans Babylone, en 539 avant J.C.
Comme cela a toujours été souligné par les historiens du cinéma, Intolérance forme un ensemble hétéroclite et assez peu convaincant quant au fond (prôner la tolérance) mais les séquences babyloniennes restent l’un des plus grands spectacles qu’Hollywood ait pu créer de toute son histoire : Griffith utilisa un gigantesque plateau de 2 kilomètres de long avec des décors hauts comme une maison de six étages et des milliers de figurants. Le résultat est à la hauteur des moyens utilisés avec des scènes du siège de Babylone par Cyrus assez phénoménales.
Le film fut un échec commercial, du fait de ses faiblesses mais aussi parce qu’en 1917 les Etats-Unis entreront en guerre et les messages pacifiques n’auront plus beaucoup droit de cité. En 1919, pour récupérer un peu d’argent, Griffith sortira séparément The Fall of Babylon et The Mother and the Law. L’historien George Sadoul rapporte avoir vu The Mother and the Law ainsi monté seul et l’avoir trouvé d’une grande puissance alors que, intégré dans Intolérance, il est un peu écrasé par la magnificence de Babylone. Il faut d’ailleurs savoir que Griffith l’avait tourné avant même Naissance d’une Nation mais ne l’avait pas sorti, redoutant sans doute les effets de son message social (il montre la répression aveugle et sanglante d’une grève). Malgré son côté disparate, Intolérance a marqué l’histoire du cinéma, son influence sur les jeunes cinéastes russes comme Eisenstein est souvent citée. Il reste donc très intéressant à visionner presque un siècle plus tard.
Note :
Acteurs: Mae Marsh, Robert Harron, Constance Talmadge, Alfred Paget
Voir la fiche du film et la filmographie de D.W. Griffith sur le site imdb.com.
Voir les autres films de David W. Griffith chroniqués sur ce blog…
Note : Le montage initial d’Intolérance de 275 minutes a été perdu très tôt. Griffith fit des nouveaux montages pour ressortir le film en 1926 et 1933. La version que nous pouvons voir actuellement dure un peu plus de 150 minutes avec des teintures d’images un peu marquées.
Note : Dans Les trois âges (1923), Buster Keaton utilisera la même construction qu’Intolérance, plus dans un esprit de parodie que d’hommage cependant.
« Sans cesse se balance le berceau reliant le passé à l’avenir ».
Un foyer d’intolérance et de haine lutte perpétuellement au cœur du temps afin de soumettre un amour charité se maintenant difficilement à flots dans un environnement historique de plusieurs millénaires synonymes de massacres permanents.
Des grappes humaines en révolte sont corrigées au canon, des tours s’embrasent au pied des murailles d’une ville momentanément épargnée. Le Christ se prépare à la passion, Babylone trahi par ses religieux offre à l’envahisseur ses murs éventrés. Le chômeur à bout de ressources détrousse l’éméché. Le réformiste se déchaîne dans une époque où les individus désoeuvrés retournent à la pierre brute.
« Il faut détruire ou être détruits » Catherine de Médicis le clame haut et fort à un Charles IX sous pression matriarcale à l’aube d’une Saint Barthélemy sanguinaire ou le seul but est de gagner du temps sur le temps par la force d’une doctrine contradictoire.
Depuis toujours, l’humanité se morfond en conflits répétitifs par des procédures guerrières et politiques. Il y a toujours un prêtre pour vendre une ville à un empereur. En costumes ou bardés de fers les hommes ne font que se trahir, souffrir et guerroyer.
Ces quatre récits offre à l’histoire un sanguinolent paquet cadeaux de nos fureurs temporelles contrées par une bravoure bien souvent féminine courageuse, malmenée, quelquefois récompensée.
« Intolérance » est une œuvre magnifique, grandiose, violente, sensuelle montrant notre logiciel terrestre, une fureur meurtrière vétue d’une famine intellectuelle ou l’homme extrêmement fragilisé se protège dans la douleur de la bestialité de ses propres congénères encadré par des compagnes aimantes, volontaires, décisionnaires d’une grâce de dernière minute ou opérationnelles au combat jusqu’à la mort.
Les décors grandioses Babyloniens filmés en ballon captif alimentent merveilleusement les contraintes du plan fixe. Ces statues d’éléphants cabrées aux mesures himalayennes envoient au placard les balbutiements d’un jeune cinéma prenant soudainement grâce à ce joyau une technologie parfaite presque indélébile.
« Intolérance» première fresque historique cinématographique à grand spectacle représente un processus complet émotionnel et tragique de nos parcours, un plan révélateur de toutes nos erreurs accumulées. Ces quatre récits en parallèles ne sont que notre image, une lutte éternelle entre proies et prédateurs.