Elle :
Inspiré d’un fait réel (de 1938), Le ciel est à vous a été tourné pendant l’Occupation. Jean Grémillon nous plonge au cœur de la vie provinciale avec ses mesquineries, ses lâchetés et ses rêves aussi. Ce film est étonnamment précurseur, joyeux, plein de force et de ténacité. Le réalisateur y exalte le féminisme, l’amour dans le couple, la passion de l’aviation ou de la musique qui fait vibrer et vivre intensément. Il dénonce le conformisme, les préjugés et les idées étroites. Charles Vanel et Madeleine Renaud y sont d’immenses acteurs qui jouent soit en retenue ou en exaltation.
Note :
Lui :
Le Ciel est à vous met en scène un garagiste et sa femme qui vont tous deux se passionner pour l’aviation. Jean Grémillon a tourné ce film (non sans peine) pendant l’Occupation et le film a été l’objet d’une petite polémique car à sa sortie, au tout début de 1944, il fut récupéré aussi bien par les pétainistes qui y voyait là une glorification de la famille et des petites gens, que par les résistants à l’occupant qui y voyaient une attaque contre la famille traditionnelle et contre la résignation. Avec le recul, on a plus l’impression que Jean Grémillon a surtout voulu faire un film sur la passion : comment un couple d’apparence classique et ordinaire peut tout remettre en cause et prendre tous les risques pour aller jusqu’au bout d’une idée. Le Ciel est à vous est un grand film populaire (dans le bon sens du terme) soutenu par un couple d’acteurs vraiment convaincants.
Note :
Acteurs: Madeleine Renaud, Charles Vanel
Voir la fiche du film et la filmographie de Jean Grémillon sur le site imdb.com.
Voir les autres films de Jean Grémillon chroniqués sur ce blog…
Note : (Ne lisez pas cette note si vous n’avez pas encore vu le film)
En mai 1938, Andrée Dupeyron, femme d’un garagiste de Mont-de-Marsan, battit le record féminin de vol en ligne droite entre Oran (Algérie) et Tel El Aham (Irak), soit la distance de 4360 kilomètres, battant le record de 4063 kilomètres établi deux jours avant par Elisabeth Lion. Elle disparut effectivement pendant deux jours et fut retrouvée dans le désert par des nomades.
La veille du départ, Charles Vanel dit en regardant l’avion de la concurrente : « Evidemment, on ne peut pas lutter… » En fait, cet avion est un Messerschmitt, ce qui rend cette petite phrase lourde de sens (puisqu’ils lutteront et vaincront).
(Infomations prises sur une page du site Aeromovies )
Un naturel sensitif féminin est récupéré par une virilité masculine. La machine volante offre une voie de sortie à la pire des scléroses, l’ennui existentiel d’un couple combattu et vaincu par les attraits du ciel.
Le mari entre azur bleuté et terre contraignante laisse sa femme se ronger les sangs sur le plancher des vaches. Suite à une révélation le concept tout en restant identique s’inverse, le mari cloué au sol fait connaissance à son tour avec les affres de l’inquiétude pendant que Madame s’offre un intérêt et une indépendance dans les airs.
Le couple Gauthier éteint par une petite vie se dynamise à tour de rôle en craignant pour la vie de l’autre.
« Le ciel est à vous » est avant tout le cadeau offert à une Mère éjectée de ses fourneaux ayant la possibilité de vivre une passion découverte suite à une illumination. Une femme en bleu de travail rivée aux manettes dans les airs apprend la ténacité et l’ambition menant vers l’élaboration d’une identité teintée d’égoïsme surtout envers une progéniture rêvant également d’une autre vie mais dans une autre discipline.
On pense que pour soi en délaissant les devoirs ménagers et les besoins de ceux que l’on distingue de moins en moins. Un mécanisme d’auto détermination s’établit sur un monceau de préjugés et de contraintes. Les incertitudes d’un vol sont plus salutaires qu’une vie familiale sans surprises.
Thérèse Gauthier redécouvre ce que d’autres ont offertes à la résignation, une peur et une inconscience livrée à une mécanique incertaine mais garante de sensations, un contexte d’homme conquis brillamment par une femme ne subissant plus de choix imposés par la distribution des rôles dans la société.
Pierre Gauthier devient féminin, cloisonné dans un espace réduit, harcelé de reproches, rongé par l’anxiété, un transfert logique suite à l’acquisition d’un nouveau statut sédentaire.
La mère n’est plus la, elle est dans les nuages et porte le nom de femme.
Un film tout imprégné de l’atmosphère de l’Occupation, dans le meilleur et dans le moins bon – l’enthousiasme et l’indéfectible croyance en soi, mais, aussi, les préjugés et les arrière-pensées. La fin étrangement inquiétante pourrait être celle du « Corbeau », film contemporain d’Henri-Georges Clouzot, mais Grémillon, en humaniste, délivre un autre message. Au-delà, le discours du film est intemporel : Pierre Gauthier vole dans les airs comme s’il se promenait dans son jardin, son épouse finira par découvrir la beauté de cette révélation. Pierre fait, à son tour, une découverte : avec Thérèse, il n’a pas seulement connu le grand amour, il a gagné une amitié indéfectible, une complicité et une émulation propres à bâtir des cathédrales. Ce film rappelle tant Saint-Exupéry, et pour moi qui suis Lyonnais, le plaisir est immense de citer le pilote-écrivain : « Il ne s’agit point ici d’aviation. L’avion ce n’est pas une fin, c’est un moyen. (…) On est en contact avec le vent, avec les étoiles, avec la nuit, avec le sable, avec la mer. On ruse avec les forces naturelles. On attend l’aube comme le jardinier attend le printemps. On attend l’escale comme une terre promise, et on cherche sa vérité dans les étoiles. » Autre réflexion inspiratrice, proche du film de Grémillon : « (…) Aimer ce n’est point se regarder l’un l’autre, mais regarder ensemble dans la même direction. Il n’est de camarades que s’ils s’unissent dans la même cordée, vers le même sommet en quoi ils se retrouvent. » (« Terre des hommes ») N’est-ce pas la destinée sublime de Pierre et Thérèse Gauthier, magnifiquement incarnés par Charles Vanel et Madeleine Renaud ? Un film inoubliable.