Titre original : « Kind Hearts and Coronets »
En 1868, la veille de son exécution, Louis Mazzani, duc d’Ascoyne, écrit ses mémoires. Sa mère ayant été reniée par sa famille de haute noblesse après avoir épousé un chanteur italien, Louis a juré de se venger et de tuer tous les membres de la famille situés avant lui dans la ligne de descendance directe… 65 ans après sa sortie, Noblesse oblige reste insurpassé dans le genre de l’humour anglais, une sorte de mètre-étalon de l’humour noir qui a fait, plus que tous les autres, la renommée des studios anglais Ealing. Prenant appui sur un roman de Roy Horniman, Robert Hamer et John Dighton ont écrit une comédie mêlant ironie, immoralité et cynisme dans un écrin formé par une narration empreinte de retenue et de distinction. Ils ont su trouver un ton très original, éminemment britannique. Les dialogues sont brillants et savoureux. Mais le succès de Noblesse oblige est également dû à une autre trouvaille qui fit sa renommée : faire jouer huit rôles différents (dont une femme) par Alec Guinness, une petite prouesse que l’acteur accomplit avec panache et, bien entendu, humour. Car l’humour est toujours présent, pas celui qui nous fait rire aux éclats mais un humour pince-sans-rire et subtil, tout en retenue : les délices de l’humour anglais à son meilleur. Insensible au temps, Noblesse oblige est une petite merveille, un film qui mérite bien sa réputation.
Elle:
Lui :
Acteurs: Dennis Price, Valerie Hobson, Joan Greenwood, Alec Guinness
Voir la fiche du film et la filmographie de Robert Hamer sur le site IMDB.
Voir les autres films de Robert Hamer chroniqués sur ce blog…
Remarques :
* Pour passer la censure, la version américaine a dix secondes supplémentaires à la fin montrant une personne découvrant le manuscrit (ce qui est pourtant implicite dans la version originale). En outre, des dialogues furent coupés pour préserver les bonnes mœurs… Au total, la version américaine est plus courte de 6 minutes.
* Le titre est dérivé d’un vers d’Alfred Tennyson devenu proverbe anglais, « Kind hearts are more than coronets », qui signifie « un coeur bon vaut mieux que des lettres de noblesse.» (Poème Lady Clara Vere de Vere, ca. 1833, où l’auteur s’en prend assez durement à une jeune femme qui joue de sa noble lignée pour séduire.)
Extrait :
Howe’er it be, it seems to me,
‘Tis only noble to be good.
Kind hearts are more than coronets,
And simple faith than Norman blood.
Lire le poème en entier…
* La phrase faisant le titre français, Noblesse oblige, est prononcée en français dans la version originale anglaise, au tout début dans le dialogue entre le directeur de la prison et le bourreau.
* Parmi tous les films des studios Ealing, Noblesse oblige est celui dont l’humour est le plus noir. A ce propos, il faut noter que si le film a fait en grande partie la réputation des studios Ealing, son dirigeant Michael Balcon n’était guère enthousiaste sur le projet, persuadé que cette forme d’humour ne fonctionnerait pas auprès du public.
* Alec Guinness n’a pas été engagé pour jouer tous les rôles (était-ce pour un seul rôle, deux ou quatre ? Les témoignages divergent…) C’est lui-même qui a insisté pour les jouer tous. L’effet sur le succès du film n’avait pas été vraiment anticipé comme en témoigne l’affiche originale ci-dessus qui met en avant les deux éléments féminins. Ce n’est que plus tard que les affiches furent refaites pour montrer les huit personnages d’Alec Guinness (voir exemple ci-contre).
* Noblesse oblige est à la 6e position dans l’excellente liste des 100 meilleurs films britanniques du British Film Institute (B.F.I.) (liste établie en 1999).
La fin est implicite, mais reste ouverte, et cela lui donne encore plus de puissance. Formellement, une fin « heureuse » (et immorale) reste possible — et la fin ironique n’en est que plus terrible en étant redoutée plutôt que certaine.
En tout cas, une comédie cinglante, immorale et jubilatoire (et fort élégante, tellement british !).
Concernant Alec Guinness, les sources divergent.
Dans les suppléments du DVD, l’un des auteurs dit que Guinness était engagé pour un rôle (ce qui semble logique : c’est quand même le cas habituel !) et que l’équipe se posait la question du niveau de maquillage possible pour arriver à ce que les 8 personnages se ressemblent assez pour donner l’impression d’avoir la même ascendance (soulignant qu’avec les moyens de l’époque, ils se résignaient à une ressemblance limitée), et Guinness a alors proposé de tous les faire, ce qui résolvait le problème. Honnêtement, cela semble très vraisemblable.
Dans un autre supplément du DVD, Bertrand Tavernier signale que Guinness a explicitement contredit le nombre de 4 rôles initialement proposés (nombre fréquemment cité suite à une publication qu’il conteste mais hélas reprise en boucle), et a indiqué qu’il n’était engagé que pour en faire 2, avant de proposer de faire les autres.
Quoi qu’il en soit, entre un des auteurs et le principal intéressé, cela fait deux sources sérieuses qui invalident les prétendus 4 rôles initiaux. Et il faut reconnaître que ces 4 ne sont guère crédibles. Si réellement il avait été envisagé qu’il fasse plusieurs rôles, pourquoi 4 plutôt que les 8 ? Cela aurait été un « entre-deux » assez absurde et peu probable. Soit 8 directement, soit un ou deux. Et comme tout le monde reconnaît qu’il n’était pas prévu au départ qu’il en fasse 8, c’était donc en fait un ou deux.
Si c’était deux comme le dit Guinness lui-même, c’étaient probablement le banquier et son fils : ce sont les deux personnages pour lesquels le besoin de ressemblance était le plus important pour la crédibilité, et en outre les deux les plus faciles à faire se ressembler (il suffisait de « vieillir » Alec Guinness pour le rôle du père, et de le faire jouer le fils avec son physique normal). Et là, OK, ça peut être l’un des cas où l’idée de faire jouer deux personnages par le même acteur pouvait venir naturellement. Mais 4, je n’y crois pas — et d’autant moins que les intéressés le nient.
Et comme vous le soulignez, cette prouesse * est devenu l’un des arguments du film alors que ce n’était pas prévu. Ayant découvert la carrière de Guinness a posteriori, je pensais que ces 8 rôles étaient dus au fait qu’il était « la star » du film. Or je découvre que c’est au contraire le film qui l’a fait connaître ! Il a réussi à faire de 8 petits rôles secondaires une « performance » remarquée, et à se faire un nom. Ses autres grandes comédies grinçantes (De l’or en barre ou Tueurs de dame **) ou plus souriantes (L’homme au complet blanc) et ses autres rôles dans des blockbusters (dans Laurence d’Arabie et bien sûr Star Wars) sont postérieures.
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* Ou cet amusement, car c’était plus une ruse qu’un vrai tour de force, en fait. Certains de ces 8 rôles sont minuscules et n’ont pas demandé d’autre effort que de se grimer (sérieusement, il serait exagéré de prétendre que l’interprétation statique et brève de l’amiral, du militaire ou de la suffragette soit une performance d’acteur : n’exagérons pas), leur « temps cumulé » à l’écran reste modeste, et la seule difficulté technique résidait dans l’unique scène où 6 d’entre eux sont présents simultanément. D’un point de vue du jeu, le jeune Henry (le passionné de photographie) et le pasteur sont les seuls où Guinness ait vraiment dû s’investir avec nuances et interprétation — et le pasteur est mon préféré. Le duc et le banquier sont assez bons aussi, mais assez semblables et pas très difficiles car très statiques.
** Pardon, mais je tiens à réécrire correctement le titre français qui aurait dû traduire The Ladykillers. Il n’y est aucunement, absolument pas, question de plusieurs « dames ». La bande de malfrats ne cherche certainement pas à tuer « des dames », mais une et unique dame bien précise. Avec son pluriel aberrant, c’est encore l’un de ces titres français ridicules, qui trahissent le propos-même du film.
Merci pour ces précisions et commentaires. J’ai corrigé mon texte car, effectivement, le nombre de rôles initialement prévu pour Alec Guinness est bien incertain.
En vous lisant, je me suis rendu compte que j’avais pas chroniqué The Ladykillers. Je pensais pourtant l’avoir revu récemment car j’en ai un souvenir précis. Il va falloir que je comble ce manque…