Titre original : « Mein liebster Feind – Klaus Kinski »
Avec Mein Liebster Feind, littéralement Mon plus cher ennemi, Werner Herzog évoque ses relations tumultueuses avec son acteur fétiche Klaus Kinski. De Aguirre en 1972 à Cobra Verde en 1987, ils ont tourné ensemble cinq films et que ce soit pour l’acteur Kinski ou pour le réalisateur Herzog, ces cinq films sont les plus remarquables de leur filmographie. Mais cela, Werner Herzog ne le dira pas. Pendant 95 minutes, il raconte les coups de colère dont l’acteur était coutumier et le présente comme un demi-fou qui pouvait devenir dangereux. Il faut attendre les cinq dernières minutes pour l’entendre parler de Kinski dans des termes plus positifs. Ce documentaire date de 1999 soit huit ans après le décès de l’acteur et le ressentiment était visiblement encore très fort. Il serait intéressant de savoir quel regard porte Werner Herzog aujourd’hui sur sa collaboration avec Kinski. Pour tourner le documentaire, le réalisateur est retourné sur ses lieux de tournage en Amérique du Sud et fait parler des membres de l’équipe d’alors et acteurs. Quelques documents filmés pendant les tournages illustrent le récit de Werner Herzog.
Elle: –
Lui :
Acteurs: Klaus Kinski
Voir la fiche du film et la filmographie de Werner Herzog sur le site IMDB.
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Les 5 films de Warner Herzog avec Klaus Kinski :
1972 : Aguirre, la colère de Dieu (Aguirre, der Zorn Gottes)
1979 : Nosferatu, fantôme de la nuit (Nosferatu: Phantom der Nacht)
1979 : Woyzeck
1982 : Fitzcarraldo
1987 : Cobra Verde
Klaus Kinski et Werner Herzog (sur le tournage de Fitzcarraldo)
dans Ennemis intimes (Mein liebster Feind – Klaus Kinski) de Werner Herzog.
Vous avez l’air de mettre en doute la présentation de Kinski qui est faite par Herzog, c’est du moins ce que laisse penser votre formule : « [Herzog] le présente comme un demi-fou qui pouvait devenir dangereux » et « Il faut attendre les cinq dernières minutes pour l’entendre parler de Kinski dans des termes plus positifs ».
Pourtant, c’est un constat corroboré par tous ceux qui ont croisé Kinski. Même ses filles ont témoigné de l’horreur qu’elles ont vécu pendant leur enfance (violées et battues par leur père, etc.). C’est hélas un fait établi : Klaus Kinski était dangereux, violent (capable d’exploser tout le contenu d’une pièce pour une raison futile), criminel (ce qu’il a fait subir à ses filles ressortit à la notion de « crime », passible des assises). Il fallait qu’il soit bien monstrueux pour que ses filles disent qu’elles ont été soulagées par sa mort, et n’ont alors ressenti aucune tristesse (et juste le regret… de ne pas l’avoir envoyé en prison). Comment Herzog aurait-il pu dire plus de choses positives sur cette abominable ordure ? La puissance cinématographique de ce monstre suffit-elle à excuser ses crimes, et exige-t-elle qu’on invente de faux aspects positifs ?
En fait, ce qui est surprenant n’est pas qu’Herzog présente Kinski pour ce qu’il était. Ce qui est surprenant, c’est qu’il ait réussi à dépasser la folie de Kinski pour tourner 5 films – ou disons 4 films après avoir commencé à le connaître. C’est ce mystère (comment accepter de composer avec un monstre, parce qu’on sent qu’il est capable de « rendre » sur l’écran une puissance inédite) qui mériterait d’être étudié par Herzog. Et c’est surtout une autocritique qui serait attendue : l’art justifie-t-il de composer avec le diable ? La question est légitime mais vertigineuse (pour ma part, j’estime qu’aucun « art » ne justifie de fermer les yeux sur des crimes, l’humain vivant passe avant la beauté abstraite).
Je ne voulais pas prendre la défense de Klaus Kinski. Ce qui m’a un peu dérangé, c’est que Wener Herzog fait un film à charge contre son acteur sans jamais prendre le recul de considérer ce qu’il a apporté à ses films. Et (comme vous le dites dans votre dernier paragraphe) on passe son temps à se demander : mais, s’il était si horrible pourquoi est-il allé le rechercher ? Une fois, on comprendrait, mais quatre fois c’est bien qu’il y avait quelque chose.
En résumé, ce qui me gêne un peu, c’est que Werner Herzog a bien utilisé sa personnalité colérique et brutale pour ses personnages et donner une dimension particulière à ses films et semble ne pas assumer ensuite ses choix.
Et je suis tout à fait d’accord avec vous sur votre dernière phrase.
Si ce documentaire avait débouché sur une réflexion sur les limites à donner à la création artistique, sur ce que l’on peut accepter dans le cadre d’une création, ce récit aurait pris une toute autre dimension.
Les révélations faites par les filles de Klaus Kinski sont postérieures à ce film (début des années 2010). Il est vrai qu’après cela, notre image de l’acteur a bien changé : on passe de l’image (presque gentille) de l’acteur à demi-fou mais doté d’un grain de génie à une image (nettement plus terrifiante) d’un criminel.
Ah oui, vu comme ça, je comprends vos réserves. Si ce film n’est qu’une façon pour Herzog de s’exonérer de la responsabilité d’avoir été « séduit » par Kinski sans s’interroger sur cette emprise qu’il a lui-même subie, c’est décevant. Une introspection et une réflexion sur ce que permet (ou pas) l’intention artistique auraient été mieux venues.
Kinski est un pur produit de la misère sociale. Issu du lumpenprolétariat allemand, lui même victime d’inceste maternel, enrôlé de force dans la Wehrmacht dans l’enfer allemand de 1945 alors qu’encore adolescent… cela fait beaucoup. Il n’est pas question d’excuser, mais on peut essayer de comprendre.
De plus, on n’évoque pas les ravages de la drogue ( alcool et cocaïne) sur sa personnalité déjà très fragile : » Kinski était un grand acteur, et un emmerdeur de première. Il était complètement explosé par la coke, et avait des caprices de diva. On ne pouvait l’emmener nulle part sans qu’il mette la main au cul des filles. Il causait pas mal de problèmes partout où il allait et il y avait des bagarres entre les Philippins et ses gardes du corps. Il s’est retrouvé pris dans une [vraie] fusillade à Manille. Il a fallu embaucher un Italien, un dénommé Mauricio, pour le garder le nez dans la coke, entouré de putes, et loin du plateau, pour qu’il ne cause pas de problèmes. On ne le faisait venir sur le plateau que lorsque sa présence était indispensable (Bruce Baron, interview « Nanarland »)
D’ailleurs, la carrière chaotique de l’acteur est également l’indice d’une personnalité troublée : il a en permanence louvoyé entre série Z et chef d’œuvre, tout au long de son parcours artistique, enchaînant un film avec Herzog avec des nanards improbables (voir d’ailleurs à ce sujet le site « nanarland, qui dresse une liste assez édifiante de sa filmographie).
Au final, il ne fut qu’un homme, déséquilibré, qui a fait souffrir son entourage au-delà du tolérable et du supportable. Comme tant et tant d’autres malheureusement, car cela est beaucoup plus fréquent qu’on le croit. Sauf que Kinski était connu, ce qui en fait un symbole, bien malgré lui, d’une réalité hélas assez courante, particulièrement chez les gens ayant subi des traumatismes dans leur jeunesse, qui ne font bien souvent que reproduire ce qu’ils ont vécu sur leur entourage.
Restent au final une poignée de chef d’œuvre (Aguirre…), preuve que peuvent cohabiter talent, voire génie, ainsi que vilénie et bassesse au sein d’une même personne, symbole, s’il en est, de l’ambivalence des composantes de l’espèce humaine.