Titre original : To be or not to be
Lui :
Comment un maître de la comédie peut-il traiter d’un sujet aussi grave que la guerre, une guerre dans laquelle le monde est plongé ? Ernst Lubitsch donne une réponse magistrale avec Jeux Dangereux, à la fois une comédie très drôle, un film au suspense quasiment insoutenable et un pamphlet contre la tyrannie et pour la liberté. To be or not to be, être ou ne pas être, nul titre ne serait plus approprié à ce film où l’on cherche à passer pour un autre mais c’est un jeu dangereux quand il s’agit de prendre la place d’un membre de la Gestapo dans le Varsovie occupé. Il y a de nombreux moments de pure comédie entremêlés dans une intrigue assez angoissante, où l’on frémit d’appréhension ; l’ensemble est dopé par un rythme qui ne laisse aucun répit, aucun temps mort pour souffler. C’est cet équilibre qui rend Jeux Dangereux vraiment remarquable et absolument unique.
Note :
Acteurs: Carole Lombard, Jack Benny, Robert Stack
Voir la fiche du film et la filmographie de Ernst Lubitsch sur le site IMDB.
Voir les autres films de Ernst Lubitsch chroniqués sur ce blog…
Remarques :
* Si Jeux Dangereux est aujourd’hui reconnu comme un film assez marquant et l’un des meilleurs de Lubitsch, il fut plutôt mal compris à sa sortie, Lubitsch se voyant accusé de se moquer du sort terrible de la Pologne et de Varsovie.
* To be or not to be est le dernier film de la belle Carole Lombard. Celle qui fut l’épouse de William Powell puis de Clark Gable périra quelques mois plus tard, avant même la sortie du film, dans un accident d’avion lors d’une tournée pour vendre des War Bonds. La phrase « What can happen on a plane ? » (Que peut-il arriver dans un avion ?) qu’elle prononce au début du film fut supprimée au montage final. Elle figure toutefois dans les versions actuelles.
* Clin d’œil (à l’intention de ceux qui ont suivi avec ferveur une certaine série télévisée dans leur enfance) : To be or not to be est l’un des tous premiers rôles de Robert Stack, alias Eliot Ness.
Remake :
To be or not to be d’Alan Johnson (1983) avec Mel Brooks et sa femme, Anne Bancroft, remake plutôt réussi.
Mea culpa : C’était ma première visite sur votre site, et j’ai confondu la liste apparaissant à gauche avec le total des films commentés… Bonne idée, le commentaire à deux! Trouvez-en un(e) troisième et vous aurez (à un amant près) Sérénade à trois!
Adolf Hitler dans les rues de Varsovie au mois d’Août 1939 on croit rêver alors que la guerre n’est pas encore déclarée.
« Jeux dangereux » tourné en 1942 valorise l’effort de guerre des métiers du spectacle. Ernst Lubitsch s’y colle sur le fil du rasoir entre drame et comédie. La récupération parodique d’une situation locale désespérée responsabilise la résistance plus ou moins théâtrale d’un peuple conquis dont la moindre habitation est au ras des pâquerettes.
« Jeux Dangereux ” n’est pas un film de propagande ou d’investissement forcé envers une participation plus ou moins exigée en fonction d’un rapport avec un contexte historique guerrier catastrophique mais une œuvre de solidarité entre sourires et larmes offrant la possibilité à des techniciens de l’image de s’exprimer par une ironie évitant une sinistre neutralité.
Malgré quelques escapades comiques, l’œuvre reste grave en montrant la lutte parfois euphorique et farfelue d’un peuple brisé désirant retrouver sa liberté. Quelques frivolités ne s’exécutant envers l’occupant que pour le bien d’une nation.
Ernst Lubitsch a le mérite d’offrir à des contemporains tendus la possibilité de dérider par certains détachements comiques des visages extrêmement préoccupés par les évènements.
Charlie Chaplin préférant en rire avait choisi la même piste avec « Le Dictateur » permettant à un peuple reclu de muscler sa force envers une domination par le courage et la dérision.
Le pouvoir des images ayant pignon sur rues, il est possible de manipuler l’histoire, d’en changer le cours, de ridiculiser des pouvoirs destructeurs et de faire triompher la justice dans une pseudo bonne humeur entretenant les principes d’un réalisateur aux messages festifs mais toujours responsabilisés
Tombé par hasard sur votre blog, je vous dis bravo car vos analyses sont souvent pertinentes. Et bien vu l’avis masculin/feminin!
Pour en revenir à To be or not to be, je l’ai visionné pour la 1ère fois hier soir en DVD et ce film me marque 1000 fois plus qu’un film récent. Dingue! Pourtant, j’ai eu beaucoup de mal à accrocher durant les 20 premières minutes. Je trouvais en effet le film daté, légèrement incompréhensible et ampoulé. Mais, miracle, dès la scène où le jeune Robert Stack part à la poursuite du professeur Stilinski en Pologne, le film prend une dimension extraordinaire.
Au final, ce film est un réquisitoire absolument éblouissant contre le régime totalitaire nazi et l’égo démesuré des acteurs. Même si, en même temps, Lubitsch leur rend hommage en les rendant courageux et talentueux dans leur « jeu » face à l’ennemi. Intelligent, corrosif, drôle, joué à la perfection, mis en scène avec rigueur, cette oeuvre mérite en effet de passer à la postérité.
Venant de revoir ce film pour la 3e ou 4e fois, je n’ai pas résisté à venir voir la chronique que vous ne manquiez pas d’en avoir fait.
J’ignorais que Carole Lombard était morte avant la sortie du film (et le sens dès lors troublant de cette réplique sur l’avion, qui est bien présente dans mon DVD). C’est assez troublant (et triste).
Pour le reste, je vous rejoins dans les 5 étoiles et les dithyrambes. Ce film est un bijou d’équilibre, presque un miracle. La manière dont il est découpé, rythmé, alternant pur humour et réel suspens, est une leçon de cinéma. Le fait même de parvenir à rire avec finesse d’une période aussi tragique est déjà un exploit. Et le faire en sublimant une situation a-priori triviale (le flirt adultère), transformée en prétexte à un jeu dangereux et à des situations dramatiques, renforce l’exploit.
J’ajoute que Lubitsch parvient à faire un film à plusieurs niveaux, puisqu’en arrière-plan c’est un magnifique hommage au théâtre. Je veux dire par là que, outre montrer bien sûr comment le théâtre peut être salvateur et héroïque, il nous fait plonger avec une tendre ironie (jamais méchante, mais en même temps souvent vacharde !) dans le quotidien d’une troupe de théâtre, avec les cabotins, les tentations séductrices, les figurants frustrés, les conflits entre metteur en scène et acteurs, l’acteur-star mêlant égocentrisme, narcissisme… et angoisse permanente, etc.
Un aspect illustre la parfaite maîtrise : les acteurs accusés (par leurs collègues) de cabotiner… se retrouvent à cabotiner y compris lorsqu’ils doivent jouer double-jeu au sein de la Gestapo. Non seulement cela rend leurs personnages particulièrement crédibles, mais cela ajoute un peu de piment aux situations… sans outrance, en restant « juste ». De façon circulaire, cela permet à la fois de crédibiliser et affiner leurs personnages, et de rendre naturels et fluides quelques frissons supplémentaires dans les situations délicates.
Et tout cela, tous ces « niveaux de lecture », s’enchâssent parfaitement en une comédie enlevée ? Oui, ce film relève du miracle. Improbable, inimitable, réjouissant.
Merci pour ce commentaire. Vous me donnez envie de le revoir… 🙂