Titre original : « Sommaren med Monika »
Autres titres français : « Un été avec Monika », « Monika et le désir »
Peu après s’être rencontrés, Harry, garçon livreur, et Monika, ouvrière dans un magasin d’alimentation, décident de quitter la ville de Stockholm. Ils se rendent sur l’île d’Ornö où ils mènent une vie libre et idyllique…
Ingmar Bergman a tourné Monika avec très peu de moyens alors qu’il traversait une période délicate (qui l’avait contraint à tourner des films publicitaires). L’histoire, adaptée d’un roman de Per Anders Fogelström, est très simple mais ce qui rend le film si remarquable est la façon dont Bergman l’aborde en privilégiant les personnages sur le récit. Sa caméra nous place au milieu d’eux, elle semble vouloir nous placer en troisième personnage comme en témoigne le long et célèbre regard-caméra. Avec le recul, il est étonnant de voir à quel point le film est précurseur de la Nouvelle Vague. Il est si en avance que les « jeunes turcs » des Cahiers du cinéma ne le remarqueront pas tout de suite : Rohmer et Godard ne le verront sous cet angle qu’en 1958, lors d’une rediffusion à la Cinémathèque. Il faut dire qu’à sa sortie ses aspects érotiques avaient pris le dessus et occulté tout le reste (érotisme qui ne saute plus vraiment aux yeux aujourd’hui mais bien réel en 1953). C’est Godard qui pointera sa valeur subversive sur le plan moral, avec une remise en cause du schéma traditionnel de la famille, et le déclarera comme étant une source d’inspiration pour le « jeune cinéma moderne ». Monika a ainsi acquis le statut de mythe…
Elle: –
Lui :
Acteurs: Harriet Andersson, Lars Ekborg
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Harriet Andersson et Lars Ekborg dans Monika de Ingmar Bergman.
Le célèbre regard-caméra d’Harriet Andersson dans Monika de Ingmar Bergman.
En 1958, Godard dit de ce plan : « Il faut avoir vu Monika rien que pour ces extraordinaires minutes où Harriet Andersson, avant de recoucher avec un type qu’elle avait plaqué, regarde fixement la caméra, ses yeux rieurs embués de désarroi, prenant le spectateur à témoin du mépris qu’elle a d’elle-même d’opter volontairement pour l’enfer contre le ciel. C’est le plan le plus triste de l’histoire du cinéma. »
On peut aussi y voir autre chose, un regard de défi, Bergman nous mettant à la place d’Harry. C’est un regard soutenu pendant de nombreuses secondes, assez inexpressif, comme vidé de tout sentiment. Monika sait ce qu’elle va faire mais ses désillusions la rendent indifférente.
Ces deux façons de voir l’héroïne ont partagé (et partagent toujours) les cinéphiles : Monika est-elle une victime qui se libère d’un cadre trop étroit ou fait-elle preuve d’un égoïsme aussi extrême que blâmable ?
Lars Ekborg et Harriet Andersson dans Monika de Ingmar Bergman.
LIBERTE CHERIE….
Je suis étonné de ne trouver aucun commentaire de spectateur sur ce film. Mais comme quasiment personne (public, critique, festival) ne l’avait relevé non plus lors de sa sortie (sauf un circuit de distribution de films dits érotiques), il faut donc croire que le phénomène se poursuit même si, heureusement, le temps et les avis autorisés ou anonymes des uns et des autres l’ont replacé à sa juste valeur, celle d’un jalon essentiel dans l’oeuvre de Bergman et du cinéma.
MONIKA est le film référence de la liberté féminine. Dans tous ses précédents films, Bergman d’abord homme de théâtre qu’il pratique bien avant de faire des films esquissait des figures féminines exprimant leur état de souffrance, leur chaîne, leur désir d’émancipation et de liberté sans pouvoir, époque oblige, y arriver ou l’obtenir. Avec MONIKA pourrait on dire c’est chose faite, mais tout à un un prix pour briser ses entraves.
Le film est structuré en trois parties, trois temps. Le premier se déroulant à la ville (Stockholm), est d’une essence purement théâtrale, composée, situant les personnages dans leurs environnements quotidiens de vie et de travail. C’est le Bergman jusqu’ici connu.
Le second temps de l’été, le plus développé, se passe dans l’île où sont arrivés les amoureux abandonnant tout pour vivre leur passion. Et c’est là, dans l’île, dans cet état naturel, qu’éclate cet espace infini de liberté qui autorise Bergman à toutes les audaces, découvrant lui-même le cinéma primitif des origines, tout en s’adonnant lui-même à la flambée de passion amoureuse avec son interprète Harriet Andersson. Cela brûle la pelllicule. Bergman fait partie de ces cinéastes qui couchent avec ses actrices (c’est connu). On a cru – à tort – que Brigitte Bardot dans « Et Dieu créa la femme » de Vadim incarnait l’étendard du flambeau de cette modernité, parce que MONIKA, tourné avant mais vu après en avait décidé ainsi, mais peu importe à quelques années près, le mouvement était dans l’air. Harriet (20 ans) est extrêmement libre dans ses mouvements, ses attitudes, son expression, sa façon d’être directe et solaire, ses désirs qu’elle impose, et Bergman (35 ans) la regarde et la filme en toute liberté (comme Godard le fera avec Anna Karina quelques années plus tard). Il faut dire que l’île est géographiquement le lieu autorisant cette force libertaire, loin de la ville, loin des contraintes des studios. 3 films jalons de l’histoire du cinéma se situent dans une île : Renoir le précurseur avec Sylvia Bataille dans la petite île impressionniste de « Partie de campagne », puis Rossellini avec Ingrid Bergman dans l’île explosive de « Stromboli » et Antonioni avec Monica Vitti dans « L’Aventura » en 59.
La troisième partie avec le retour à la ville, la présence d’un enfant, le couple en crise, les décisions arbitraires qui font mal annoncent le Bergman à venir des grands films ultérieurs.
Le désormais célèbre et « classique » très long regard caméra avec lumières changeantes entre ‘Harriet/Monika et Bergman qui la filme et nous qui la regardons en fait un ménage à trois qui interpelle sacrément et oblige à constater et réfléchir.