« Librement inspiré de l’histoire de Goethe, Alexandre Sokourov réinterprète radicalement le mythe. Faust est un penseur, un rebelle et un pionnier, mais aussi un homme anonyme fait de chair et de sang conduit par la luxure, la cupidité et les impulsions. Après Moloch (Hitler), Taurus (Lenine) et Le soleil (Hirohito), Faust est la dernière partie de la tétralogie de Sokourov. » (Présentation du dossier de presse) Après trois films-portraits démystifiant trois dictateurs, Sokurov se penche plus généralement sur la nature humaine, montrant ses faiblesses, ses pulsions. Cet être imparfait n’est-il pas lui-même générateur des totalitarismes qu’il subit ? L’approche de Sokurov est fortement esthétisée, dans un style évoquant le « chaos métaphysique et grotesque d’un Jérôme Bosch » (1). Les premières minutes sont assez dures (si certaines personnes peuvent regarder sans ciller l’autopsie d’un cadavre à moitié putréfié, je dois avouer que je n’en fais pas partie) et le malaise perdure quelque peu durant tout le film, accentué par le rythme soutenu des dialogues et des sons qui forme souvent une certaine agression. Qu’il s’agisse d’une nouvelle et notable interprétation du mythe de Faust est indéniable, mais personnellement j’ai été plutôt rebuté par la forme.
Elle: –
Lui :
Acteurs: Johannes Zeiler, Anton Adasinsky, Isolda Dychauk
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Principales adaptations du mythe de Faust :
– Faust et Marguerite de Georges Méliès (1897)
– La Damnation du Docteur Faust de Georges Méliès (1904)
– Faust de F.W. Murnau (1926)
– La beauté du diable de René Clair (1950) avec Gérard Philipe et Michel Simon
– Marguerite de la nuit de Claude Autant-Lara (1955) avec Michèle Morgan et Yves Montand
– Doctor Faustus de Richard Burton et Nevill Coghill (1967) avec Richard Burton et Elizabeth Taylor
– Faust d’Alexandre Sokurov (2011)
(1) La formule est de Jean-François Rauger du Monde. Je me permets de la reprendre car je la trouve particulièrement juste et éclairante.
Mais où est donc logée l’âme?
Les grands mythes nés de la littérature poétique théâtrale – Hamlet, Don Juan, Faust, Carmen, Macbeth…- ont vite passionné auteurs, compositeurs, metteurs en scène et cinéastes dans des adaptations des plus classiques aux plus folles. Faust en fait partie. Et c’est propre aux artistes d’imprimer leur style à leurs oeuvres
Dès le plan d’ouverture (qui rend hommage au film de Murnau) la caméra de Bruno Delbonnel est comme en apesanteur et le restera la plupart du temps (comme par exemple chez Terrence Malick mais d’une autre manière). Le film d’Alexander Sokourov est filmé dans le format carré (1.33) des origines du cinématographe avec les quatre angles de l’image en bouts arrondis. Format qui permet de filmer un visage ou un objet en très gros plan jusqu’à le recevoir « en pleine figure », tout comme propre à conduire un travail assez extraordinaire sur la profondeur de champ, ce qui est le cas l’un comme l’autre à de nombreux moments. Le film est traité en teintes comme assourdies, délavées, usées, provenant d’un autre temps, ici un âge moyen du Moyen-Age pour rester vague. La lumière y est changeante, même à l’intérieur d’une même séquence, et l’image parfois, souvent, subit des torsions comme des visions, des atteintes à notre propre vue, comme une contamination. C’est donc très esthétique, très formaliste, très « pensé / trouvé / proposé ». Entre musique, peinture et littérature le film de Sokourov se nourrit d’autres arts mais s’affiche en cinéma comme expérimental, hors des sentiers re-battus
Donc Sokourov propose sa vision – le mot n’est pas trop fort – du mythe légendaire, tout en chamboulant l’ordonnance du récit-poème de Goethe. Il en fait un choc esthétique qu’il tourne en langue allemande et en Tchécoslovaquie (il n’a pas été possible de trouver ailleurs un village en décor naturel qui fasse allemand de cette époque) avec des acteurs et techniciens russes et tchèques, Delbonnel étant le seul Français de l’équipe qui ira tourner jusqu’en Islande le final du film
Le docteur Henri Faust qui autopsie les cadavres à la recherche du siège de l’âme – grande question métaphysique qui nous vaut une scène d’ouverture à la Bacon -est un homme « ordinaire » entre deux âges, désargenté-, qui se laisse conduire au gré de ses rencontres à ses pulsions qui le conduiront à rencontrer celle dont il va tomber amoureux charnellement. Dès l’apparition de la jeune Marguerite dans le lavoir commun aux femmes, Faust et le spectateur sommes subjugués par l’éclat de beauté et de fraîcheur de la jeune fille (qui pour une fois est proche de l’âge du personnage) que la photographie et la lumière métamorphosent en icône à idôlatrer. Faust tombe dans le piège tendu par un disciple du diable, ici un usurier roué et difforme qui se présente nu au bain, s’enrichissant sur le dos des morts et des insolvables et en général sur la misère du pauvre monde. Faust (Johannes Zeiler, de la trempe d’un Harvey Keitel) entraîne Marguerite (Isolda Dychauk, danseuse et comédienne) dans l’abîme dans un plan sidérant d’étrange beauté, et se sépare de son horrible mentor qu’il bombarde sous un ensevelissement de pierres, mais le diable a la peau dure et Faust continue sa quête vers l’ailleurs
Film à la puissance folle (lion d’or vénitien de 2011)
* à l’attention de Lui, je signale une autre adaptation du mythe: « Marguerite de la nuit » par Claude Autant-Lara
Merci de m’avoir signalé cette version… et pour vos commentaires, toujours aussi intéressants à lire. En privilégiant l’esthétique, votre approche de ce film est meilleure que la mienne.