Titre original : « Ugetsu monogatari »
Dans le Japon du XVIe siècle secoué par des guerres civiles, deux villageois se séparent de leur femme : l’un est potier et désire profiter de la guerre pour vendre ses poteries à la ville et devenir riche, l’autre est paysan et rêve de devenir un grand samouraï… Les Contes de la lune vague après la pluie s’inspire de plusieurs histoires écrites en 1776 par Ueda Akinari dans ses Contes de pluie et de lune (Ugetsu monogatari), un grand classique de la littérature japonaise. Nous suivons le parcours de deux hommes aiguillonnés par l’attrait de la richesse ou des honneurs au point de les aveugler et de causer leur perte. La guerre agit comme un catalyseur : la guerre semble offrir des opportunités (de gloire et/ou de richesse) mais en réalité elle n’apporte qu’exactions, famine et destruction. Le film fustige ainsi autant la guerre que la cupidité. Les Contes paraît moins centré sur le destin de la femme que les films précédents de Mizoguchi : ici, même si la femme est la raison d’être des rêves des grandeurs de l’homme et si elle est la première à en subir les funestes conséquences, c’est l’homme que nous suivons et qui est montré comme une victime. Une grande partie du charme des Contes de la lune vague après la pluie vient de la réunion de deux mondes : le réel et le surnaturel s’entremêlent subtilement par l’esthétisme de la mise en scène, par la délicatesse des mouvements de caméra (notamment ses fameux travelings latéraux), par la beauté de certaines scènes (le lac, le temple, etc.). Tous ces éléments contribuent à nous envelopper d’une atmosphère unique, entre songe et réalité. Depuis 60 ans, Les Contes de la lune vague après la pluie est le film le plus connu de Mizoguchi. Il nous enthousiasme toujours autant aujourd’hui, il fait partie de ces films sur lesquels le temps ne semble pas avoir de prise.
Elle:
Lui :
Acteurs: Machiko Kyô, Mitsuko Mito, Kinuyo Tanaka, Masayuki Mori, Eitarô Ozawa
Voir la fiche du film et la filmographie de Kenji Mizoguchi sur le site IMDB.
Voir les autres films de Kenji Mizoguchi chroniqués sur ce blog…
Remarques :
* Les Contes de pluie et de lune de Ueda Akinari est un recueil de neuf contes fantastiques : Shiramine, Le Rendez-vous aux chrysanthèmes, La Maison dans les roseaux, Carpes telles qu’en songe…, Buppôsô, Le Chaudron de Kibitsu, L’Impure Passion d’un serpent, Le Capuchon bleu, Controverse sur la misère et la fortune.
* Un conte de Guy de Maupassant a également été source d’inspiration pour l’écriture du scénario.
* (Attention ce qui suit dévoile en partie la fin du film)
Kenji Mizoguchi n’a pu tourner la fin qu’il désirait. Le scénario prévoyait que Tobei, samouraï indûment glorieux, profite durablement des honneurs et de sa nouvelle vie tandis que Genjiro ne rentrait pas dans son village et ne se repentait à aucun moment. Mizoguchi désirait ainsi montrer à quel point l’homme et la société étaient perverties. Les studios Daiei refusèrent cette fin trop noire et imposèrent un dénouement plus moralisateur. Mizoguchi en fut assez affecté et critiqua profondément son film quelque temps après sa sortie dans une interview.
* Le film remporta le Lion d’argent à Venise de 1953 (cette année-là, il n’y eut pas de Lion d’or) et devint ainsi l’un des rares films japonais à être largement connus en Occident dans le sillage de Rashômon de Kurosawa.
* A sa sortie au Japon, le film fut assez peu remarqué. Ce n’est qu’après l’excellent accueil reçu en Occident qu’il fut mieux considéré en son pays.
* Les Contes de la lune vague après la pluie est plus précisément tiré de deux des neuf contes du recueil d’Ueda Akinari : La Maison dans les roseaux,et L’Impure Passion d’un serpent.
La Maison dans les roseaux relate l’histoire d’un commerçant qui laisse sa femme dans son village pour aller faire des affaires à la ville. La guerre civile l’empêche de revenir et ensuite ses revers de fortune l’en éloignent encore plus. Ce n’est que sept plus tard qu’il revient dans son village mais c’est le fantôme de sa défunte femme qui l’accueille.
L’Impure Passion d’un serpent raconte comment le dernier fils d’un important pêcheur fait la rencontre d’une très belle jeune femme. Il se rend chez elle et elle lui fait don d’un sabre de samouraï qui s’avère être un sabre dérobé dans un monastère. Lorsque le fils revient à la maison de la jeune femme, la demeure est délabrée et envahie par la verdure. Il réalise qu’il a été victime d’un démon et se rend dans sa famille éloignée. Partout où il va, il rencontre la même jeune femme qui tente de l’attirer et qui, une fois démasquée, reprend une forme de serpent. Le fils ne parvient à se débarrasser de ce sortilège qu’avec l’aide d’un grand prêtre.