Lui :
Pour son deuxième long métrage, François Truffaut choisit un univers qu’il a souvent défendu en tant que critique, le film noir américain. Il adapte un roman de Davis Goodis mettant en scène un pianiste de café dont le frère est poursuivi par deux truands. Il va ainsi se retrouver impliqué de force dans une histoire qui ne semble pas être sienne. Truffaut restitue avant tout l’atmosphère des films policiers, avec beaucoup de scènes de nuit, très contrastées. Il amplifie les ruptures de tons du roman, passant ainsi très rapidement d’une forte tension dramatique au burlesque le plus farfelu, souvent au moment où l’on s’y attend le moins. Il ajoute aussi ces discussions sur la vie et surtout sur les femmes, mélange de fascination, d’attirance et de méfiance. Tirez sur le pianiste se situe ainsi tout à fait dans l’esprit de la Nouvelle Vague. Tous ces aspects sont habilement mêlés : ainsi, entre les scènes d’action, les deux truands ne semblent qu’intéressés par de longues discussions sur la vie et les femmes (Tarantino n’a rien inventé…) Charles Aznavour est assez étonnant, il parvient à donner une réelle épaisseur à son personnage timide, fragile, effacé, qui semble subir la vie. On notera aussi la présence d’une rare prestation scénique de Boby Lapointe dans une chanson intégralement montrée (avec sous-titres, s’il vous plait, afin que l’on puisse en saisir au vol tous les jeux de mots).
Note :
Acteurs: Charles Aznavour, Marie Dubois, Nicole Berger, Michèle Mercier, Serge Davri, Claude Mansard
Voir la fiche du film et la filmographie de François Truffaut sur le site IMDB.
Voir les autres films de François Truffaut chroniqués sur ce blog…
Remarque :
On peut rapprocher Tirez sur le pianiste du dernier film de François Truffaut, Vivement Dimanche. La démarche est en effet pratiquement la même, le résultat étant bien entendu différent.
Un excellent film avec deux excellents acteurs : Aznavourian (qui ne déçoit jamais à l’écran) et le fulgurant Boby Lapointe qui nous fait oublier son génie mécanique (scientifique matheux, il a me semble t-il inventé un système d’embrayage) et profiter de son interprétation raide et décalée…
MAESTRO !
Il y a aujourd’hui 30 ans, il nous quittait….
Depuis quelques jours, Marie pour mémoire…
Léna, l’orpheline, ange blond en imper blanc, s’écroule, glisse et roule dans le neige sous un ciel laiteux, victime d’un assaut entre deux fratries, digne d’un western ou d’une série B. Léna tombe au grand jour dans les alpages. Echappée de la nuit et de la ville, comme tous les autres personnages, sa mort quasi sacrificielle remet Charlie en vie et efface (Répare ? Ressuscite ?) celle de la Femme de celui-ci. Léna/Marie Dubois est une héroïne (Cassidy’s Girl, La lune dans le caniveau) très façon David Goodis.
Truffaut, adapte, filme. Sait-il, lui le théoricien en chef, du moins la figure de proue, de la Nouvelle Vague, qui veut mettre à bas, le vieux cinéma de Papa et, notamment, son «psychologisme» à deux balles, qu’il tourne là une belle œuvre romantique de pure mélancolie ? Ce qu’il poursuivra, du reste, tout au long de sa carrière. Alors qu’il abandonnera très vite cette singulière- alors- écriture cinématographique (décors naturels, caméra sur l’épaule, citations et diversions littéraires, absences de raccords, etc, etc) déjà administrée dans son premier opus «Les 400 Coups» (1959) et empruntée, comme Godard, («A bout de souffle»1960), Chabrol («Le beau Serge», 1959) ou Rohmer («Le signe du lion», 1962) tant à «Deux hommes dans Manhattan» (1959) de Melville, qu’au «Petit fugitif» (1953) des américains Ray Ashley et Morris Engel- ce que Truffaut admettra très volontiers- voire au russo soviétique Alexandre Medvedkine et son ciné-train, et à l’ethnologue/cinéaste Jean Rouch.
Sans doute que François Truffaut demeurera un personnage lampedusien. Celui qui conseille (dans Le Guépard) de « tout changer pour que rien ne change».
Progressivement, on passe de la nuit parisienne (et Levallois) au jour alpestre, à mesure que Charlie/Edouard/Aznavour (photo ci dessus avec Marie Dubois) se remémore son ancienne vie et prend conscience de l’improbabilité de la nouvelle. Ce cheminement qui tient presque du road movie, traverse, à un rythme foldingue, des sortes d’apparences, comme un mari content de son sort de mari, un frangin en cavale, un autre en enfance, un troisième en ermite, une pute guillerette, un serveur de bar chanteur, un patron de bar neurasthéno-obsédé, un imprésario élégant et corrupteur, et deux gangsters bras cassés. Certains, interprétés par des non acteurs mais amis de passage, comme le poète et dialoguiste Daniel Boulanger, les cinéastes Alex Joffé et Claude Heyman, le génial chanteur délirant Bobby Lapointe et l’artiste de cabaret disjoncté Serge Davri. Plus une Alice Sapritch en concierge, mais dont le voix est ici, doublée. Ce qui n’empêche que ce «Tirez sur le pianiste» reste un film remarquable, le plus réussi, selon nous, de la carrière du cinéaste, (sans oublier l’émouvant et néanmoins austère «L’enfant sauvage») où il n’est question que des femmes du point de vue des hommes, pures ou fatales, lointaines ou prostituées. Mais aussi et surtout, aimantes à en mourir, telles Léna et Thérésa/Nicole Berger. Tandis que les hommes, timides, fatalistes, profiteurs ou libidineux ne comprennent pas grand-chose. En fait, Truffaut, fut, comme critique et cinéaste, un moraliste avant tout.
Mais nous n’oublierons jamais Nicole Berger, Albert Rémy, et Claude Mansard, tous trois disparus dès 1967. L’émouvante Nicole Berger ayant tous juste 33 ans !
Sorti fin novembre «Tirez sur le pianiste» clôt la série de ces grands films de cette exceptionnelle année 1960, après « Les Yeux sans visage », « Plein Soleil », « A bout de souffle », « Le Trou », « Classe tous risques » et « La Vérité ». Pour des raisons diverses et variées, la plupart des auteurs de ces Ovnis redescendront vite sur terre après avoir, en cette année là, tourné parmi les étoiles.
Film foldingue tout à fait dans l’esprit et le style nouvelle vague : vitesse, ruptures de tons et de rythmes, jeux de mots et de mains, coq à l’âne avec faux raccords et tutti quanti, le seul de Truffaut à atteindre ces sommets. Comme son copain Godard cette même année 1960, il se sert d’un polar noir américain pour faire des gammes et des touches que joue dans un scope noir et blanc un Aznavour parfait, petit, brun, émacié, fragile, timide, véritable double du cinéaste. Allant contre une linéarité ennuyeuse, un double et long flash-back nous raconte au milieu du film comment le jeune pianiste virtuose devenu célèbre Edouard Saroyan jouant Ravel et consorts à la salle Gaveau est devenu celui qu’il est aujourd’hui : Charlie Kohler pianiste anonyme de bastringue jouant Georges Delerue et consorts sur un piano bar de banlieue en solitaire. Alors qu’A bout de souffle fait un tabac, le pianiste fait un bide, la même année que « La dolce vita et L’aventura », deux autres réussites explosives de la narration cinématographique. L’expérience radicale du pianiste restera sans suite chez Truffaut et c’est dommage.
Les choses de la vie : A l’issue de la projection du film à la cinémathèque l’autre soir on apprit la disparition de Marie Dubois à l’âge de 77 ans d’une dure maladie qui la minait depuis très longtemps; on venait juste, c’était presque la fin du film, de la voir mourir en gros plan sur l’écran dans la neige et l’éclat de sa jeunesse. C’est Truffaut qui lui avait trouvé son pseudonyme d’artiste, venu droit du titre d’un roman de Jacques Audiberti « Marie Dubois » : un policier obsédé par les femmes mais qui ne pouvant en posséder aucune finit par tomber amoureux d’une morte qui les résume toutes. Du Truffaut pur jus qui annonce autant « L’homme qui aimait les femmes » que « La chambre verte » à venir.Dans « Fahrenheit 451 » le livre « Marie Dubois » y est brulé, mais c’est de la science fiction.
« Le Pianiste » de Truffaut, c’est un de ses meilleurs films, mais qui n’a pas trop réussi auprès du public en 1960.
Et aujourd’hui il faut aller le chercher, pour les diffusions télé qui, qu’on le veuille ou pas font la réputation des films, dans des zones marginales, là où peu de monde va.
Charles Aznavour, dont c’est quand même le meilleur rôle, on nous le montrera dans des films médiocres de Truc ou Machin du début de cette période disant les dialogues de M. Audiard.
Ces dialogues, sont-ils meilleurs que ceux de ce film? Je ne crois pas.
Comme on disait dans un film de Rohmer: » Le mauvais goût d’hier reste le mauvais goût. »
5 étoiles pour ce film et encore, sans forcer.
Beaux textes rédigés par garnier et Jean Louis IVANI et postés, pour saluer Truffaut, le 21 octobre 2014.
J’avais lu quelque part (avant internet) que Truffaut avait quasiment écrit ce film pour pouvoir placer la scène de la voiture qui avance silencieusement sur la neige, moteur éteint.
Quoi qu’il en soit, ça reste pour moi l’un des meilleurs films de Truffaut. Aznavour y est parfait, fragile, perdu, doublement inconsolable ; Marie Dubois y est lumineuse et fascinante. Tiens, tomber par hasard sur ce billet me donne envie de le revoir.
Oui, Truffaut a bien dit cela (entretiens avec Pierre Billard dans « Cinéma 64 » n°86… donc en 1964). C’est la scène qui l’avait le plus frappé en lisant le livre. « J’avais terriblement envie de la visualiser. Le reste a suivi. »