Lui :
Une histoire d’amour fou qui défie le temps et l’espace, avec un onirisme qui frôle le fantastique, Peter Ibbetson n’est pas le genre de scénario dont est coutumier Henry Hathaway, spécialiste des westerns et de films réalistes parfois assez violents. Effectivement, ce fut Gary Cooper qui imposa Henry Hathaway avec lequel il venait de tourner Les trois lanciers du Bengale. Avec le recul, il nous apparaît probable que c’est cette inaccoutumance du réalisateur aux grands drames passionnels qui lui a permit de signer une œuvre très personnelle. Cette histoire de deux êtres séparés dès la jeune enfance mais qui s’aimeront jusque dans la mort aurait pu être très conventionnelle. Hathaway ne force pas le côté romanesque mais, suivant là d’assez près le livre de George du Maurier, fait évoluer lentement son film depuis un début romantique vers une fin surréaliste assez étonnante, avec des scènes de rêve filmées de façon plutôt réaliste (s’éloignant franchement des canons hollywoodiens de l’époque), abolissant ainsi toutes les barrières entre rêve et réalité. Il n’est pas étonnant que Peter Ibbetson ait eu tant de succès auprès des surréalistes (1). Gary Cooper, avec son jeu tout en retenue, est parfait pour le rôle dans ce contexte. Henry Hathaway ne tournera pas d’autres films de cette veine mais déclara plus tard qu’il considère Peter Ibbetson comme étant son film artistiquement le plus réussi.
Note :
Acteurs: Gary Cooper, Ann Harding, John Halliday, Ida Lupino
Voir la fiche du film et la filmographie de Henry Hathaway sur le site IMDB.
Voir les autres films de Henry Hathaway chroniqués sur ce blog…
(1) André Breton a décrit Peter Ibbetson comme étant un « film prodigieux » qui montre le « triomphe de l’amour fou et de la pensée surréaliste ».
Léo Malet a écrit certains de ses livres sous le pseudonyme de Frank Harding, en hommage au personnage joué par Ann Harding dans ce film.
C’est un film rare, tout à fait à la hauteur du livre traduit par Queneau. je suis d’accord avec vous, mais je nuancerai mon jugement sur Hattaway qui selon moi est un réalisateur méconnu. Il a fait d’excellents films noirs qui sont de vrais chef-d’oeuvre, nottament « Le carrefour de la mort » et « l’impasse tragique ». Même si sa carrière s’est dispersée, il est bien plus intéressant qu’Hitchkock par exemple.
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Le film fut un véritable four aux Etats-Unis mais le succès public et critique fut très important en France. Le mouvement surréaliste, tout juste remis de l’Âge d’or de Buñel, s’en empara aussitôt y voyant la manifestation la plus brillante de sa vision du monde (Breton ira jusqu’à qualifier Peter Ibbetson de “triomphe de la pensée surréaliste”). Très sobre voire même rigide dans sa première partie, la caméra d’Hathaway prend une dimension nouvelle au moment du procès. Ainsi, les rêves des deux protagonistes permettent au film de revêtir une dimension lyrique particulièrement brillante tant en termes d’émotions que de technique.
Je ne pense pas que Hathaway soit un cinéaste « bien plus intéressant qu’Hitchcock », comme il est écrit plus haut. Bien que Hitchcock n’aurait pas nécessairement su passer d’un genre à un autre (aventure, film noir, western, drame, comédie…) avec le même bonheur que Hathaway. Il serait grand temps de considérer celui-ci comme autre chose qu’un tâcheron du septième art et d’en finir avec ces jugements négatifs et ridicules hérités des Cahiers du Cinéma et de Jacques Rivette en particulier. Le cinéaste Hathaway ne possédait peut-être pas une personnalité ou une singularité artistique qui transparaît dans chacun de ses films et il n’a sans doute pas imposé une écriture cinématographique qui le distingue particulièrement au sein de la production hollywoodienne mais le nombre d’authentiques réussites qu’il a signées suffit à commander le respect : « Le Carrefour de la mort », « Appelez Nord 777 », « Niagara », « L’Attaque de la Malle-Poste », « Le Jardin du Diable », etc., et ce « Peter Ibbetson », donc, qui demeure une espèce de « curiosa » dans la production cinématographique des années trente. Après avoir écouté les commentaires fort instructifs (Tavernier, Simsolo, Brion…) que l’on trouve en compléments sur le dvd, demeurent quelques inconnues : qui a eu l’idée d’adapter pour l’écran cette oeuvre de G. Du Maurier?
S’agissait-il, en pleine Dépression (1935), d’offrir un moment d’évasion au spectateur lambda? Quelle est la part des théories freudiennes sur l’inconscient et les rêves dans le film de Hathaway? Que les surréalistes, Breton en tête, se soient enthousiasmés pour ce film n’a rien d’étonnant puisqu’il semble être la traduction littérale du dogme surréaliste selon lequel le conscient et l’inconscient, le réel et l’imaginaire, la vie et la mort, l’envers et l’endroit cessent d’être perçus contradictoirement (je cite de mémoire). Ce qui est sûr, c’est que, près de quatre-vingts ans après sa sortie, il tient encore le coup et n’a rien perdu de sa force poétique, malgré certaines naïvetés (la vision du château façon Disney sur le toit du monde, par ex.). De combien de films signés Rivette, par exemple, pourra-t-on en dire autant?
Je sors de la projection du film dans le cadre de la rétrospective Hattaway de la cinémathèque. Dans sa première partie le film a singulièrement vieilli et fait assez toc. Et si l’on devine aisément que les deux enfants vont se retrouver adultes dans un second temps, on ne croit pas un seul instant en Gary Cooper, déjà âgé pour le rôle, étudiant en architecture. La seconde partie est meilleure, certes, mais surestimée semble t’il. S’il est difficile de se placer aujourd’hui dans l’esprit cinématographique d’un spectateur des années 30, celui du 21ème siècle reste sceptique, probablement parce que même si ça reste un ovni chez Hattaway, il manque au film un véritable auteur pour le hisser dans la véritable ambition poétique de son propos.