Lui :
Cet obscur objet du désir est le dernier film de Luis Buñuel. Il reprend plusieurs des thèmes chers au cinéaste et évoque plusieurs de ses films. Il s’agit de l’adaptation du roman de Pierre Louÿs « La femme et le pantin » qui avait déjà été porté plusieurs fois à l’écran. Comme Buñuel le décrit lui-même, c’est l’histoire d’une possession impossible d’un corps de femme. Un bourgeois d’âge mûr désire une jeune femme qui se dérobe constamment : à chaque fois qu’il pense parvenir à ses fins, il se heurte à un obstacle infranchissable. Le réalisateur installe cette histoire dans un climat d’insécurité, attentats, agressions, qui crée un sentiment d’instabilité. Il y a aussi ce même parfum de léger onirisme, ou d’irréalité, que l’on avait dans Le fantôme de la liberté ou Le charme discret de la bourgeoisie. L’une des originalités les plus visibles de Cet obscur objet du désir est de faire jouer le rôle de la femme désirée par deux actrices différentes, sans aucune ressemblance : la toute jeune et douce Carole Bouquet, au visage de madone, et la sensuelle et insolente Angela Molina (hélas doublée en français). Ce dédoublement symbolise la dualité de la perception et des sentiments du personnage principal et de ses souvenirs (1). En à-côté, Buñuel s’amuse à détourner l’attention par des détails ou des objets incongrus, comme pour éviter que l’on prenne cette fable trop au sérieux. Sans être tout à fait au niveau des très grands films de Buñuel, Cet obscur objet du désir clôture fort joliment sa filmographie.(2)
Note : (5/9/2009) – (15/06/2024)
Acteurs: Fernando Rey, Carole Bouquet, Ángela Molina, Julien Bertheau, André Weber
Voir la fiche du film et la filmographie de Luis Buñuel sur le site IMDB.
Voir les autres films de Luis Buñuel chroniqués sur ce blog…
(1) Buñuel explique cela plus prosaïquement par une raison technique : Maria Schneider ayant quitté la production, il fallut la remplacer et comme il avait deux postulantes qui étaient parfaites chacune pour l’un des aspects du personnage, il engagea les deux !
(2) Le film s’achève sur une scène énigmatique (la femme qui reprise un manteau de dentelle taché de sang), la dernière scène que Buñuel ait tournée et dont il parle ainsi : « Cette scène me touche sans que je puisse dire pourquoi, car elle reste à jamais mystérieuse ». Et il accole à cette scène une dernière pirouette, ultime facétie du réalisateur.
Autres adaptations du roman de Pierre Louÿs :
La femme et le pantin de Jacques de Baroncelli (1928)
La femme et le pantin (The devil is a woman) de Josef von Sternberg (1935) avec Marlene Dietrich
La femme et le pantin de Julien Duvivier (1959) avec Brigitte Bardot (adaptation bien terne)
C’est pas bien, « Lui », de raconter la fin des films ! 😉
de Bunuel, je n’ai pas vu grand-chose, juste « Belle de jour » et « La voie lactée », mais j’ai le sentiment qu’en matière d’onirisme, il est une référence.
Ce film-ci a l’air intéressant et je serai notamment curieux de voir ce que ça donne de faire jouer un rôle à deux personnes. Amusant de voir qu’il y avait déjà trois adaptations du roman de Louÿs. Et dire que je reproche parfois aux réalisateurs contemporains leur manque d’imagination et leur manie du remake !
Bonne journée.
Je ne suis pas non plus un grand amateur de remakes mais ici il me paraît difficile de parler de remake tant la version de Bunuel est différente des autres, très marquée par la patte du réalisateur. Il s’agit plutôt d’une nouvelle adaptation (et ce n’est fait dans un but commercial comme un remake hollywoodien).
Pour les deux actrices jouant le même personnage, il ne faut pas s’attendre à une fusion totale, c’est même tout le contraire que Bunuel a cherché. Ce qui est amusant, c’est que suivant l’actrice que l’on voit, on devine un peu à l’avance le ton de leurs échanges.
Sinon, je ne racontais pas la fin, la scène finale ne fait pas partie intégrante de l’histoire (quoique…)
😉
Luis Bunuel, c’est toute ma jeunesse … J’ai vu tous ses films ! Il était la star des ciné-clubs avec Ingmar Bergmann. Qui les connaît encore, parmi les jeunes de notre époque ? D’autant que les cinés-clubs ont disparus, même à la télé. Merci d’en parler.
Contrairement à mes intuitions liées à l’affiche du film qui présente une bouche pulpeuse, objet du désir, et qui me fit penser à des tableaux surréalistes de Dali, notamment en raison des impressions sur le précédent film du réalisateur (1974), qui s’intitulait « Le fantôme de la liberté », ce film n’est pas du tout surréaliste. L’intrigue est basique : un homme prend le train, semble-t-il après une rupture et raconte les raisons de son départ, une longue histoire d’amour ou plutôt de désir inassouvi mais après tout la morale ne serait-elle pas qu’une fois assouvi le désir n’existe plus, là est le drame.
Curieusement, à chaque scène d’amour refusé, succède une scène de terrorisme, allusion à la violence du sentiment amoureux ? Je m’interroge. Autre clin d’œil du film : lors de la première scène au lit entre les 2 héros, alors que nous nous attendons enfin à assister à leurs épanchements amoureux, nous constatons que la lingerie de la femme est si bien lacée, qu’il est impossible de la dénouer, telle une ceinture de chasteté.
Beaucoup été intriguée par ce film. En effet faire jouer un même personnage par 2 actrices différentes pour nous montrer comment l’amant perçoit sa dulcinée sous différentes facettes. Dommage que je n’ai pas compris rééllement le dénouement.
La fin du film pour moi est évidente, en ce qu’elle symbolise la virginité.
La lingerie tachée de sang, la blancheur trouée dont une modiste reprise
les déchirures, et la fascination qu’éprouve Mathieu à regarder, ce qui agace
Conchita, peut-être parce-qu’elle a finalement cédé au désir de Mathieu ???
Et qu’elle pense qu’il ne l’aimera plus ?? Comment raccomoder leur amour ???
On peut y voir ce qu’on veut, et ce tout dernier attentat, ne veut-il
pas ponctuer définitivement la violence de leurs jeux sado-masochistes ?????