Titre original : « Le notti bianche »
Lui :
Jeune employé fraichement muté, Mario erre le soir dans les rues de Livourne, en proie à la solitude. Il remarque sur un pont une jeune fille en pleurs. Il parvient à lui parler et à la raccompagner chez elle, mais à peine a-t-il le dos tourné qu’elle retourne sur le pont… Les nuits blanches est l’adaptation du roman homonyme de Dostoïevski sur la passion amoureuse. Luchino Visconti se démarque à la fois du néoréalisme de ses débuts et des fastes colorés de son film précédent, Senso. Il revient ici au noir et blanc (superbe photographie de Giuseppe Rotunno) et recrée entièrement en studio un quartier de Livourne avec ses ruelles et ses canaux. Cela donne une atmosphère irréelle au film, une sensation d’être hors du temps, impression amplifiée par le fait que toutes les scènes sont nocturnes, aucun plan ne montre les personnages dans leur vie diurne, et aussi par la présence de Jean Marais qui nous évoque Cocteau. Maria Schell fait une belle interprétation, tourmentée, oscillant entre la joie et le désespoir, presque dévote dans son amour désincarné et Mastroianni montre comme toujours beaucoup de présence, de tendresse et de richesse dans son jeu. Les nuits blanches a parfois été considéré comme mineur dans la filmographie de Visconti. Assez injustement.
Note :
Acteurs: Maria Schell, Marcello Mastroianni, Jean Marais
Voir la fiche du film et la filmographie de Luchino Visconti sur le site IMDB.
Voir les autres films de Luchino Visconti chroniqués sur ce blog…
Remarques :
Les (très belles) scènes de brouillard ont été créées en utilisant des kilomètres de tulle, technique habituellement utilisée au théâtre (et rappelons que Visconti est aussi un metteur en scène de théâtre).
Autre adaptation du roman de Dostoïevski « Nuits blanches » :
Quatre nuits d’un rêveur de Robert Bresson (1971)
En outre, le roman a été une source d’inspiration pour James Gray pour son Two Lovers.
Serait-ce un rêve cette réalité?
Oui, une parenthèse dans l’oeuvre viscontienne. Accusé par ses producteurs de faire des tournages longs et dispendieux, le cinéaste décide avec sa scénariste fidèle Suso Cecchi d’Amico, le jeune producteur Franco Cristaldi et le comédien Marcello Mastroianni qu’il a souvent dirigé au théâtre (Un tramway nommé Désir, Oncle Vania…) et à qui il veut offrir enfin un premier rôle au cinéma, de fonder la société des artistes associés italiens avec un film à durée normale, à budget modeste, à tournage court, juste la rencontre de deux noctambules somnambules et un décor de studio à Cinecittà, un pont sur la Néva qui coulerait en Italie. L’équipe jette son dévolu sur cette nouvelle dostoievskienne des Nuits blanches de Saint Petersbourg (70 pages en édition de poche) qui titillera effectivement par la suite d’autres cinéastes jusqu’à dernièrement Paul Vecchiali et ses Nuits blanches sur la jetée.
Des nuits hors du temps et du monde, des nuits pour rêver, pour tromper ennui et solitude, des nuits pour se leurrer, des nuits comme des rendez-vous d’amour manqués que la belle partition de Nino Rota accompagne
La fille sur le pont et qui pleure c’est Maria Schell. Visconti lui avait décerné le prix d’interprétation dans Gervaise de René Clément lorsqu’il fut juré au festival de Venise 56. C’était la coqueluche de l’époque, tous la voulaient avec ses grands yeux transparents et liquides, ses boucles blondes, son rire un peu fou, la candeur émanant de son visage d’icône russe, ses pleurs au bord des lèvres, son jeu des mains et ses minauderies parfois trop appuyées, bref son osmose cinéma/théâtre qui ne pouvait que plaire à Visconti, tout à l’opposé de Mastroianni, sobre, émouvant, retenu, intériorisé, fragile, bien supérieur au narrateur de la nouvelle, sauf lorsqu’il s’éclate soudain dans la séquence complètement contemporaine du dancing.
Pour Marcello, son personnage, c’est Schell que j’aime. Devinez, il avait un joli nom son guide : Nathalie! Et elle lui répond « Marcello, vieni qui! » se croyant déjà Anita dans La dolce vita. Non, elle ne lui crie pas ça bien sur car elle attend l’éternel retour (normal, c’est Jean Marais) de son prince charmant. Je vous le dis : c’est un rêve, ou plutot un conte. « C’était une nuit de conte, irréelle, magique », ainsi que commence le roman, puis plus loin:
« Nous étions comme brûlants, comme dans un brouillard, comme si nous ne savions pas nous-mêmes ce qui nous arrivait, et de nouveau, les rires, les larmes… »
Tissé d’incertitudes et de clartés laiteuses ou brumeuses le film se termine par une dernière nuit ou plutôt un dernier matin, un dernier réveil tout recouvert de neige de studio jusqu’à presque l’abstraction ou le trio réunit pour la première fois se dissout aussitôt sur un baiser dans le carillon des cloches. L’autre, le prince charmant, l’étranger, est revenu pour emmener la jeune fille du conte laissant Marcello amoureux transi en carafe. Mais, mais, mais… ils garderont tous deux en eux ces fugaces instants de bonheur perdu car comme il est écrit dans la dernière phrase : « Une pleine minute de bonheur! N’est ce pas assez pour toute une vie d’homme?… » Méditons…
Poétique et cruel, dérangeant et inattendu LES NUITS BLANCHES reçu un lion d’argent à Venise mais ne rencontra pas l’appui de la critique ni la présence du public.
Pour mémoire, le film fut présenté à Paris en mai 58 dans une seule salle (Le Vendôme) et fut retiré au bout de trois semaines peinant à attirer les spectateurs.
C’est le cinquième film de Visconti en quinze ans et il n’a toujours pas rencontré – en France du moins – de succès public. Rappelons que OSSESSSIONE (son premier film) ne sortira à Paris que l’année suivante en octobre 59 dans une seule salle également. Ne parlons même pas d’une sortie en province pour ces cinq premiers films. Mais tout cela allait changer dès le prochain film
@Garnier : Merci pour vos présentations que je lis toujours avec grand intérêt.
Merci à vous. C’est un plaisir