Titre original : « Bronenosetz Potyomkin »
Lui :
Le Cuirassé Potemkine est souvent cité pour être le plus grand film de tous les temps. La seule scène de l’escalier d’Odessa est certainement la plus célèbre de toute l’histoire du cinéma. Le film fut conçu comme un film de propagande, une commande du gouvernement soviétique pour commémorer le vingtième anniversaire de la Révolution de 1905. A la suite d’un simple incident de viande avariée, l’équipage du Potemkine se mutine. Il est soutenu par la population d’Odessa. Ce soulèvement, qui sera réprimé de façon sanglante, annonce la Révolution de 1917.
Pour le jeune Eisenstein (il n’a alors que 26 ans et n’a réalisé qu’un seul film), la gageure est de trouver une façon de montrer la foule, d’exprimer le caractère collectif de la colère. Il le fait, non pas en reculant la caméra comme le faisait par exemple Griffith, mais au contraire en se rapprochant pour mieux filmer les visages. Et aux plans de foule, il mêle des très gros plans de plusieurs personnages qu’il enchaîne en série rapide. Il n’y a pas de héros de premier plan, très peu de personnages sont individualisés. Eisenstein a aussi le génie pour créer des images fortes : dans la célébrissime scène de l’escalier, il n’y a pratiquement que des images fortes, souvent sur des détails ou des gros plans. Quelle force et quel impact! Et tout cela, uniquement avec des images car le scénario, de son côté, reste très simple, découpé à la serpe en cinq tableaux qui s’enchaînent implacablement. On comprend aisément que ce film ait tant fasciné toutes les générations de réalisateurs qui ont suivi. Il faut aussi noter la tension, toujours très forte ; seule la troisième partie offre une petite respiration.
Le Cuirassé Potemkine apporta instantanément une grande notoriété à Eisenstein. Le film eut aussi beaucoup de succès en dehors de l’URSS, notamment en Allemagne et même aux Etats-Unis. En France, l’interdiction dont il fut frappé ne fut levée qu’en… 1952 et il fallut attendre 1984 pour que le film soit diffusé sur une chaîne de télévision.
Note :
Acteurs: Aleksandr Antonov, Vladimir Barsky, Grigori Aleksandrov
Voir la fiche du film et la filmographie de Sergueï Eisenstein sur le site IMDB.
Voir les autres films de Sergueï Eisenstein chroniqués sur ce blog…
Remarques :
1) Ce serait le chef opérateur d’Eisenstein, Edouard Tissé, qui aurait eu l’idée de placer la caméra sur un chariot mobile le long de l’escalier monumental d’Odessa, créant ainsi l’ancêtre de la dolly (caméra sur roue).
2) La première projection eut lieu au Bolchoï devant tout un parterre de personnalités politiques. Les délais furent si courts qu’Eisenstein n’avait toujours pas fini de monter la fin que la projection avait déjà commencé. L’entracte avant la dernière bobine dura donc un peu plus longtemps que prévu… Il l’apporta en courant dans la nuit glaciale.
3) L’historien du cinéma Jacques Lourcelles souligne que l’interdiction dont Le Cuirassé Potemkine fut frappé si longuement (en France et dans quelques autres pays européens) a certainement encore augmenté son aura auprès des cinéphiles et professionnels du cinéma.
Peut-être pourrait-on objecter (pas facile pour ce chef d’oeuvre) qu’il s’agit quand même d’une oeuvre pour « cinéphiles »… même si un classement des oeuvres cinématographique n’a pas de sens, Vertigo, dans un tout autre genre, est plus facile d’accès.
Doit-on considérer une catégorie « politique » dans le cinéma, auquel cas le Cuirassé en ferait partie ?
Un chef d’oeuvre formel, sans aucun doute…
Oui, on peut certainement considérer que l’on peut faire une catégorie « politique » dans le cinéma, personnellement je lui donnerais plutôt le nom de « film militant », et dans cette catégorie Potemkine figurerait en bonne place…
On est même au delà du film militant, c’est plus nettement un film de propagande. Eisenstein avait clairement l’intention « d’éduquer les masses ».
Grand frisson, grosse émotion, en descendant et montant cet escalier ! J’ai vu et revu le film Potemkine lorsque j’étais adolescente et encore après. Il fait partie de ma filmothèque, bien en vue, visionné par tous mes amis russes et surtout Ukrainiens (beaucoup ne connaissent pas cet épisode, occulté à l’école).
J’ai eu l’immense privilège d’être invitée à passer 3 semaines dans la famille de mon amie Ukrainienne (mariée et vivant en France), à 6 km d’Odessa, un rêve adolescent enfin réalisé ! Après 3 jours de voyage en bus (de Paris à Odessa), ma priorité dès l’arrivée fut de descendre et monter l’escalier (grâce au père de mon amie, il avait très bien compris, et était touché de ma demande. Il ne parlait pas français ni moi le russe), me tournant le film dans ma tête. Et ma jeune amie a découvert ainsi un épisode très fort de l’histoire de son pays. Un moment chargé d’émotion ! Pourrait-on dire qu’il y a parfois des propagandes positives qui sont essentielles à l’information du peuple, pour qu’il relève la tête, pour le rendre plus lucide ? L’actualité ukrainienne devrait nous donner à réfléchir… Mon amie et sa famille souffrent d’être impuissants à ce drame. Ses parents (piétons) ont eu un accident début décembre 2013. Son père traîné sur 100 m, déchiqueté, sa mère restée handicapée par manque de moyen, pas assez d’argent, pas de soins. Aucun recours : le chauffard (riche) a payé les témoins, le médecin sur place, la police. On s’est cotisé pour le minimum mais on en pleure. Et combien comme ça !
Merci pour ce témoignage. Marcher sur cet escalier (qui est déjà très majestueux en lui-même) doit être effectivement un grand moment d’émotion. Et comme vous le montrez, l’actualité récente du pays vient nous rappeler qu’il subsiste de nombreuses injustices.