Titre original : « The letter »
Lui :
La lettre est un film plutôt mal connu qui, de plus, pâtit certainement de la mauvaise image de William Wyler auprès des cinéphiles. Cette (deuxième) adaptation d’une pièce de W. Somerset Maugham est pourtant remarquable. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder simplement la magistrale scène d’ouverture avec un travelling latéral sur une plantation de Singapour à la nuit tombée : le jeu sur les ombres et la lumière préfigure tout le film. Sur le perron, une femme tire plusieurs fois à bout portant sur un homme. Une fois la police sur place, elle raconte comment l’homme a voulu abuser d’elle. William Wyler crée un climat très fort et La Lettre ne montre aucune baisse d’intensité pendant ses 90 minutes. Ce climat joue sur l’exotisme du lieu, bien entendu, mais assez peu finalement : il doit beaucoup plus à l’éclairage et à l’ambivalence de son héroïne. Oui, car il y a Bette Davis… Elle occupe l’écran comme à son habitude, tendant à éclipser ses partenaires, remarquable d’ambiguïté ingénue. La Lettre repose bien entendu beaucoup sur elle mais aussi sur la précision de la mise en scène de William Wyler. Un film qui vaut vraiment la peine d’être découvert.
Note :
Acteurs: Bette Davis, Herbert Marshall, James Stephenson, Gale Sondergaard
Voir la fiche du film et la filmographie de William Wyler sur le site IMDB.
Voir les autres films de William Wyler chroniqués sur ce blog…
Autres adaptations de la pièce de Somerset Maugham :
The Letter de Jean de Limur (1929) film muet avec Jeanne Eagels. A noter que Herbert Marshall qui tient le rôle du mari dans la version de Wyler jouait le rôle de l’amant dans la version de 1929.
L’infidèle (The unfaithful) de Vincent Sherman (1947) avec Ann Sheridan.
La pièce fut de plus adapté deux fois à la télévision, une fois en 1956 par… William Wyler et une seconde fois en 1982 par John Erman.
Homonyme :
La lettre de Manoel de Oliveira (1999) avec Chira Mastroianni.
Existe-t-il une aussi grande comédienne que ce lingot d’or personnifié par Bette Davis capable en fonction des rebondissements d’une enquête de passer de l’assurance d’un regard de glace aux plaintes les plus persuasives mêlées d’évanouissements judicieux afin de manipuler au maximum un environnement soumis ou respectueux non conscient du mécanisme d’une créature vénale.
« La lettre » tout en restant une œuvre lente et souffreteuse déblaie habilement les faux vêtements de lumière d’une créature froide et coupante voguant habilement entre un mari naïf et la faiblesse d’un avocat.
Le choix de montrer une faune locale servile ou corrompue toisée par un colon croulant sous le service n’est pas du meilleur gout. Nous sommes dans les quotas de l’époque ou tout ce qui vient de l’orient est jugé comme décalé et fourbe donc à manager par l’ordre et le mépris.
La scène de la remise de la lettre est un moment grandiose. Deux femmes s’affrontent par une dominance vengeresse déclenchant une soumission calculée.
Le remarquable prologue et épilogue lunaire fil rouge porteur de toute l’œuvre valorise l’ alpha et oméga d’un contenu bien souvent terne. Il faut lutter contre quelques risques de somnolences afin d’atteindre en pleine possession de ses moyens dans l’ombre de l’astre de nuit un dénouement fantastique presque extra terrestre par son esthétisme.
La sublime est d’une beauté machiavélique en clamant ouvertement son adultère. Elle ne manque pas d’humour non plus par l’intermédiaire de cette phrase surprenante
« J’ai voulu me faire belle, ça m’a pris du temps »
Film remarquable en effet, avec de très nombreuses scènes mémorables. Je recommande aussi « la Vipère » (en VO: The Little Foxes) du même auteur avec Bette Davis également, un film tourné l’année suivante. Et on dit le plus grand bien de « l’Héritière » réalisé par W. Wyler après guerre avec Olivia de Haviland.
Et si Wyler était l’un des grands portraitistes de femmes au cinéma?
A propos du travelling latéral d’ouverture du film sur la plantation, celui ci est amorcé dans le même plan par un mouvement vertical épousant la longueur vigoureuse d’un évéa jusqu’au réceptacle de recueillement de sa sève. Ce prélude métaphorique est on ne peut plus révélateur des dispositions d’esprit de l’héroïne.
d’où tenez-vous que William Wyler, jadis encensé par André Bazin (excusez du peu) pâtirait d’une mauvaise image auprès des cinéphiles? Lequel d’entre nous n’a pas formé son goût à la vision des plans-séquences et de l’usage de la profondeur de champ dans « The Best Years of Our Lives » ou admiré la rigueur de la mise en scène de « The Collector », chef-d’oeuvre tardif qui fait qu’on pardonne les lourdeurs et les errements que constituent « Ben-Hur » et « Funny Girl ». J’allais oublier les merveilles que sont « Jezebel », encore avec Bette Davis, l’audacieux « The Children’s Hour », et ces « Vacances romaines » que je ne me lasse jamais de revoir.
Oui la Nouvelle Vague et les cahiers du cinéma ont fait beaucoup d’émules et ont fait que les « vrais » cinéphiles l’ont injustement relégué au purgatoire ,mais les temps sont en train de changer ,on l’a vu à la ressortie de « children’s hour » ;il faut réévaluer William Wyler !Il est de bon ton de louer « Spartacus » et sa scène des huitres et des escargots ,en oubliant que dans « Ben Hur » ,la première scène entre les deux héros est pleine de symboles homoérotiques ; en fait c’est le livre de Lewis Wallace qui est lourd (les héros n’apparaissent qu’après 70 pages consacrées aux rois mages ) ,le scénario de Gore Vidal est bien meilleur ; il n’y a qu’à voir l’épouvantable remake du film il y a quelques années pour admettre que même dans une oeuvre moins personnelle,WW respecte son public (ce que certains comme Nicholas Ray loué ici par la critique n’ont pas toujours fait :voir son pesant remake de « king of kings » très inférieur au muet de De Mille)