Titre original : « Paleface »
Lui :
(Court métrage de 20 mn) Alors qu’un petit village indien est sur le sentier de la guerre contre une compagnie pétrolière qui leur a extorqué leurs terres, Buster Keaton arrive innocemment avec son filet à papillons… Il s’en suit toute une série de situations très différentes, Keaton parvenant une fois de plus à créer une suite d’enchaînements burlesques et de retournements de situation. Quelle richesse ! De plus, Malec chez les Indiens est incontestablement un plaidoyer pour le respect des Indiens tout en utilisant largement les images d’Epinal caricaturales sur eux. C’est du Keaton de très haut niveau, du même niveau à mon avis que One Week ou Cops.
Note :
Acteurs: Buster Keaton, Joe Roberts
Voir la fiche du film et la filmographie de Buster Keaton sur le site imdb.com.
Voir les autres films de Buster Keaton chroniqués sur ce blog…
Remarque : « Malec » était le nom donné par les distributeurs français de l’époque au personnage joué par Buster Keaton. On peut aussi trouver ce film parfois sous le nom « Buster chez les indiens« .
Détail : Difficile de ne pas remarquer la grosse svastika bien en évidence sur le plaid indien avec lequel Buster Keaton se camoufle. En 1922, les national-socialistes utilisaient déjà la croix gammée comme emblème depuis plusieurs années (leur drapeau fut créé en 1920) mais il est peu probable (comme je l’avais d’abord cru) que Keaton désirait discréditer cette nouvelle utilisation d’un symbole très ancien. D’après Wikipédia : « C’est un symbole que l’on retrouve en Europe (y compris dans l’art chrétien), en Afrique, en Océanie, aux Amériques (Amérique précolombienne chez les Mayas et amérindiens Navajos et Kunas) et en Asie jusqu’en Extrême-Orient. »
J’ai toujours été surpris de la manie française d’affubler des sobriquets aux personnages ou aux artistes, que l’on retrouvait déjà à propos des peintres de la renaissance, ou entre le XVIe et le XIXe à propos des personnalités politiques. Dans certains cas (satire politique), c’est légitime, c’est un moyen pour l’opinion publique de « prendre le contrôle » d’un personnage royal ou politique, de le dévaloriser, d’en faire un jouet, de lui donner une vulnérabilité. En revanche, dans le cas où il s’agit de renommer arbitrairement un artiste sans lui demander son avis, cela me gêne et me laisse perplexe.
C’est particulièrement frappant à propos des stars du muet. Vous signalez ici que Malec est un sobriquet inventé par les distributeurs français pour nommer le personnage (anonyme) incarné par Buster Keaton, mais vous pourriez dire la même chose à propos de Charlot. Dès que j’ai été en mesure de comprendre un peu l’anglais et de regarder les films en VO, j’ai été choqué (oui, choqué, vraiment) de l’arrogance française qui a consisté à nommer, de façon franchouillarde, un personnage que son auteur voulait pourtant anonyme.
Allez n’importe où dans le monde et parlez de « Charlot », tout le monde vous regardera avec de gros yeux ébahis. Car le vagabond récurrent des films de Charlie Chaplin n’a jamais été baptisé par son créateur, pas plus que celui incarné par Buster Keaton. Ce n’est pas anodin, car dans le fond c’est une trahison. Ces artistes voulaient explicitement incarner un anonyme, un archétype sans identité auquel tous les spectateurs pouvaient s’identifier. Buster Keaton n’est pas « Malec », il est la part de candide de chacun de nous, il est nous. Charlie Chaplin n’est pas « Charlot », il est la part de vagabond, de clochard, de perdant, qu’il y a en chacun de nous, il est nous. Les nommer, c’est les faire « autre », c’est les externaliser, c’est trahir ce choix artistique majeur.
Il n’y a qu’en France que les distributeurs ont tenu d’une part à les nommer, et d’autre part dans le cas de Charlot à choisir un nom résolument français. Aucune autre langue n’utilise ce type de diminutif en « ot ». OK, deux autres pays ont repris ce sobriquet français : l’Italie et l’Espagne. Dans les deux cas, c’est clairement une reprise d’un nom français. Par cette terminaison en « ot », Charlot sonne forcément « français » aux oreilles italiennes et espagnoles. D’une certaine façon, les distributeurs français, en imposant ce sobriquet à la distribution en Italie et Espagne, se sont approprié le personnage, ont donné au public italien et espagnol l’impression que ce personnage était français. C’est particulièrement gonflé et assez délirant, quand on y pense.
Et donc, quand on parle de Chaplin en le nommant « Charlot », cela me donne des boutons. Que la critique française désigne ainsi le personnage qu’il a longtemps incarné (en VO surnommé « The Tramp » mais jamais nommé par lui-même), OK, c’est normal, c’est devenu l’identité sous laquelle ce personnage est désigné en France, admettons. C’est choquant (trahison du choix de l’anonymat), c’est énervant (franchouillardise), mais c’est devenu l’usage. Mais par pitié, pas pour parler du cinéaste et acteur. Lui, il a bien un nom, et c’est Chaplin, Chaplin et uniquement Chaplin. Tout comme Buster Keaton (heureusement) n’est pas désigné à la ville comme étant « Malec » mais uniquement par son nom : Keaton.
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Pour ce qui est de la svastika, franchement il me paraît infiniment invraisemblable qu’en 1922 quiconque aux États-Unis se soit intéressé à ce qui était alors un micro-parti allemand. Attention à ne pas revoir le passé à rebours, en le travestissant en fonction de ce que nous savons s’être ensuite déroulé. En 1922, rien n’autorisait à imaginer que ce parti sommaire et ultra-marginal, dans un pays à genoux ne présentant alors apparemment aucune menace, pourrait compter dans l’histoire du monde. Et il faut mettre ça « au carré » ou « au cube » concernant leurs symboles, qui intéressaient encore moins de monde et n’avaient aucune raison d’intéresser quiconque hors de l’Allemagne (et même pas grand monde en Allemagne).
Non, la svastika était simplement un symbole neutre ! Aucune « interprétation » ne doit être faite de ce symbole, qui ne portait strictement aucun autre sens que l’exotisme. C’était juste un signe surtout associé au monde oriental (Indien au départ, mais aussi chinois et japonais) mais également présent dans de nombreuses civilisations (dans le Caucase préhistorique, dans certains clans vikings ensuite, etc.)… dont notamment les Mayas, les Hopis et les Navajos !
Ne cherchez pas midi à quatorze heure, même si en été l’heure officielle nous y incite. En 1922, la svastika ne portait aucune valeur négative et n’était absolument pas associée à l’horreur. En revanche, c’était tout simplement et très directement un signe décoratif courant chez les Navajos, notamment sur des tapis. Buster Keaton se cache dans un tapi navajo, c’est tout. C’est aussi simple que ça.
Et en tout cas, votre critique de ce film me donne envie de le découvrir (il est d’ailleurs dommage que Keaton soit si oublié en France, il a fallu que je parcours des festivals pour arriver à voir ses deux ou trois films les plus célèbres).
Merci pour votre commentaire. Concernant la svastika, je pense que vous avez très certainement raison et si j’avais fait un tant soit peu de recherches, j’aurais trouvé que ce symbole était utilisé par certains amérindiens. J’ai donc corrigé ma remarque…
A propos des surnoms dans le cinéma burlesque, ce fut très tôt une pratique française de donner un nom court aux personnages comiques (est-ce une tradition héritée du théâtre ?). Par exemple, lorsque vous regardez la filmographie de Max Linder (vrai nom : Gabriel-Maximilien Leuvielle) d’avant 1910, vous voyez que rapidement il se désigne par le sobriquet « Max ». Pour Buster Keaton, ce fut d’abord Frigo (!) puis Malec (il me semble avoir lu une explication du sens de « Malec » dans le cas de Buster Keaton mais je l’ai oubliée). Plus bizarre encore, Harold Lloyd est désigné par le sobriquet « Lui » (je suis sans doute mal placé pour trouver cela ridicule… mais je ne suis pas acteur). Dans tous les cas, les surnoms ont été utilisé pour les courts métrages de la fin des années 1910 et début 1920.
Charles Chaplin a pris comme nom de scène Charlie Chaplin qui a été dérivé en simple « Charlot » dans plusieurs pays d’Europe (France, Italie, etc.) pour ses courts métrages. Faut-il s’en offusquer ? Je ne sais pas…
Ce qui me semble remarquable, c’est que le comique de Chaplin fonctionne à plusieurs niveaux : on peut le voir quand on a 7 ans et rire simplement des pitreries de Charlot et, plus tard, on découvre que Chaplin a aussi un message humaniste sous-jacent. C’est cette lecture à plusieurs niveaux qui, entre autres, en fait le plus grand artiste comique de toute l’histoire du cinéma.