26 mai 2017

L’Évangile selon saint Matthieu (1964) de Pier Paolo Pasolini

Titre original : « Il vangelo secondo Matteo »

L'évangile selon saint MatthieuQu’un réalisateur athée et marxiste comme Pasolini porte la vie du Christ à l’écran peut étonner. Le cinéaste venait d’écoper de quatre mois de prison avec sursis pour outrage à la religion pour son moyen métrage Rogopag (La Ricotta) l’année précédente. Que son film reçoive cette fois le Grand prix de l’Office Catholique International du Cinéma (OCIC) surprend encore plus. En revanche, les foudres sont venus des milieux intellectuels parisiens. Pasolini reste en effet très proche des textes. Bien entendu, on pourrait dire qu’il en fait une interprétation politique : il donne le rôle du Christ à un syndicaliste espagnol et ne manque pas d’appuyer les différences de classes entre le peuple et les pharisiens. Mais le propos va beaucoup plus loin que cela : bien qu’il soit athée, Pasolini réédifie/reconstruit le « sacré ». Il faut être un très grand cinéaste pour parvenir à surmonter ce qui serait une contradiction pour beaucoup. Son film acquiert en outre une dimension poétique et philosophique qui naît en partie de son esthétique. Pasolini imprime en nous une forte sensation d’humilité et de dénuement. Les décors en sont les premiers artisans (nous sommes loin des spectacles hollywoodiens) mais cela passe aussi par les corps qui ont une présence étonnante. La musique est superbe et omniprésente, un cocktail inattendu composé d’une bonne dose de Bach (La Passion selon Saint Matthieu, bien-sûr) avec un soupçon de Mozart, de Prokofiev, de Webern, et aussi de blues et de Missa Luba congolais.  Aussi étonnant que cela puisse paraître, L’Évangile selon saint Matthieu est l’un des films les plus aboutis de Pasolini, qui démontre ainsi qu’il n’est pas un cinéaste à ranger dans une petite case.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Enrique Irazoqui, Mario Socrate
Voir la fiche du film et la filmographie de Pier Paolo Pasolini sur le site IMDB.

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Remarques :
* Pasolini a en outre réalisé un petit documentaire de 40 mn Repérages en Palestine pour « L’Évangile selon saint Matthieu ». On le voit visiter la Palestine accompagné d’un jésuite progressiste, Don Andrea Carraro. Le réalisateur se désole de ne trouver aucun lieu qui ne soit pas marqué par la modernité mais il s’imprègne des lieux. Ses discussions avec Don Andrea sont intéressantes : bien qu’ils soient fondamentalement opposés, il y a une grande convergence.
* Au final, Pasolini a tout tourné en Italie du Sud où il a trouvé les lieux vierges de toute civilisation qu’il désirait.
* La mère du Christ âgée est interprétée par Susanna Pasolini, la mère du cinéaste.

L'Évangile selon saint Matthieu
Enrique Irazoqui dans L’Évangile selon saint Matthieu de Pier Paolo Pasolini.

L'Évangile selon saint Matthieu
Un quartier semi-troglodytique de la ville italienne de Matera sert de cadre pour le village de Nazareth dans L’Évangile selon saint Matthieu de Pier Paolo Pasolini (lire le commentaire de Jacques C. ci-dessous pour plus d’explications).

3 réflexions sur « L’Évangile selon saint Matthieu (1964) de Pier Paolo Pasolini »

  1. Deux précisions :

    — Un jésuite peut parfaitement être prêtre. Un grand nombre d’entre eux le sont (au sein de tous les ordres religieux, à côté des moines il y a des prêtres, c’est-à-dire habilités à dire la messe etc.). Incidemment, c’est le cas du pape actuel ;-), qui a forcément été prêtre avant de pouvoir être évêque puis cardinal, et qui est bel et bien jésuite. Votre interrogation « jésuite (ou prêtre ?) » n’a donc pas lieu d’être, Don Andrea Carraro était probablement les deux.

    — La dernière photo ne montre pas un village « reconstitué », mais le quartier des sassi de la ville de Matera, en Basilicate, où a été tournée une partie du film. Il s’agit d’habitats semi-troglodytiques (voire troglodytiques tout court), avec façades de maisons donnant sur des cavités naturelles ou creusées, empilées les unes au dessus des autres, le bout de toit de l’une servant de mini-terrasse pour la maison au-dessus, etc (et l’intérieur s’enfonçant parfois profondément dans le massif, en salles exiguës alignées, chacune étant un peu plus basse que celle qui la précède). À l’origine, Matera était donc un village-falaise, troglodytique, qui a été ensuite prolongé par des constructions plus classiques aux environs (sur le sommet puis l’autre versant, arrondi, de la falaise). Les sassi, bien que typiques et constituant le cœur historique et affectif de la ville, étaient devenus tellement insalubres et miséreux au milieu du XXe siècle qu’ils furent administrativement fermés et vidés de leurs habitants. Le niveau de misère et de précarité de Matera avait notamment été décrit dans un célèbre livre de Carlo Levi, « Le christ s’est arrêté à Eboli » (où ce médecin, exilé par les fascistes dans le Sud de l’Italie dans les années 1930, décrit la misère de cette région « oubliée de Dieu »).
    C’est après leur évacuation-fermeture sanitaire que Pasolini a tourné son film, utilisant donc les sassi, alors vides d’habitants (et délabrés, donnant logiquement une impression de pauvreté… très réelle) comme cadre.
    Depuis quelques années, les sassi de Matera sont peu à peu réhabilités, adaptés aux normes d’hygiène moderne, recomposés (regroupement de deux ou trois petites habitations en une seule plus vaste), et peuvent progressivement être de nouveaux habités — désormais plutôt par les classes supérieures pour qui ces maisons ont un cachet (et un prix) à leur portée, ainsi que servant d’auberges ou hôtels touristiques. Mais cette réhabilitation est progressive, au rythme des travaux et des autorisations de réouverture, et une partie des sassi est encore à l’abandon (à vue de nez et de mémoire, il me semble c’est le cas de la portion figurant sur la photo, où je crois reconnaître la partie encore insalubre et abandonnée… du moins qui l’était quand j’y suis passé il y a une dizaine d’année, ça a pu évoluer depuis lors).
    Bref, nulle « reconstitution », mais juste utilisation d’un quartier réel, antique, abandonné (et alors toujours archaïque donc insalubre et miséreux).

  2. Merci beaucoup pour toutes ces très intéressantes (et étonnantes) précisions.
    Oui, le terme « reconstitué » était effectivement mal choisi.
    Je change la formulation.

  3. Petite précision: Le film comporte beaucoup de musiques de Bach, effectivement, mais deux numéros seulement de la Passion selon Saint-Matthieu. Sinon, je pense que la plus belle restitution de la Passion du Christ demeure le film réalisé pour la TV française en 1979 par François Reichenbach (pour TF1, si si…!), « la Passion selon le peuple mexicain ». Le dispositif en est absolument artificiel, mais terriblement efficace: On voit en montage alterné la préparation et l’exécution d’une Passion dans la campagne mexicaine, jouée et vécue par la population locale, et l’exécution de la « Saint-Jean », la « petite » Passion de Bach, par l’orchestre du Gewandhaus et le choeur de l’église Saint-Thomas, à Leipzig. Le tout est admirablement filmé, et donne une idée du caractère universel du drame qui se noue sous nos yeux. Ce film est dispo sur le site de l’INA, il mériterait une sérieuse restauration, et une remasterisation de la bande-son. Petite anecdote au passage : Le chef qui dirige n’est autre que le « Thomaskantor » d’alors, successeur de J.S Bach à ce poste, Hans-Joachim Rotzsch. Il dut démissionner en 1991/92,car, en dehors de ses qualités de chanteur, musicien, et pédagogue, il était accessoirement informateur de la STASI. Ces gens pourrissaient tout ! N’empêche, c’est un film à voir absolument (trailer sur le site de l’INA).

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