24 février 2016

Pickpocket (1959) de Robert Bresson

PickpocketUn jeune étudiant désargenté qui se dit écrivain décide de se mettre à voler. Il justifie sa position en affirmant que certains êtres supérieurs ont le droit de s’affranchir des lois. Il travaille sa technique pour avoir le geste parfait et affronte quelques proches qui tentent de le raisonner… Inspiré de Crimes et Châtiments de Dostoïevski, Pickpocket est le premier film entièrement écrit par Bresson lui-même. Il choisit des moyens non conventionnels pour exprimer les tensions internes de ce jeune garçon : « Ce film n’est pas du style policier » nous prévient-il en exergue. Effectivement, il ne cherche pas à créer de suspense (il est toutefois bien présent dans la scène d’ouverture) et nous dévoile le dénouement du film au tout début. Il ne cherche pas non plus à développer un argumentaire : les dialogues sont assez pauvres, les arguments des uns et des autres sont d’une naïveté confondante. En revanche, Bresson cherche (et parvient) à épurer au maximum sa façon de mettre en scène : « Rien de trop, rien qui manque » a-t-il écrit. Cet épurement est manifeste au montage mais aussi sur les mouvements de caméra, le cadrage. Le jeu des acteurs surprend toujours. Bresson ne travaille qu’avec des acteurs non-professionnels auxquels il demande d’être les plus inexpressifs possibles. En écartant tout ce qui est voulu expressif, son but est de faire ainsi émerger l’essence de l’être humain. Y parvient-il ? C’est peut-être à chacun d’y répondre. A mon (humble) avis, pas totalement, mais je comprends aisément que la démarche soit passionnante pour un créateur de cinéma. Pickpocket est ainsi un très beau film sur un plan que l’on peut trivialement qualifier de théorique.
Elle:
Lui : 3 étoiles

Acteurs: Martin LaSalle, Marika Green, Jean Pélégri
Voir la fiche du film et la filmographie de Robert Bresson sur le site IMDB.

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Remarque :
La scène d’ouverture de Pickpocket évoque celle de Pick Up on South Street (Le Port de la drogue) de Samuel Fuller (1953). Les deux scènes présentent de grandes similitudes, y compris dans la technique (du cinéaste pas du pickpocket) employée.

Pickpocket
Martin LaSalle et Marika Green dans Pickpocket de Robert Bresson.

Une réflexion sur « Pickpocket (1959) de Robert Bresson »

  1. EXERCICE DE STYLE / LE JOURNAL D’UN VOLEUR

    C’est le premier film de Bresson (même si c’est son cinquième) à épouser pleinement le chemin de notre auteur jusqu’à sa concrétisation complète, sa profession de foi – suis je tenté de dire – cinématographique. Ce brillant exercice de style encore plus abouti que l’opus précédent du « Condamné à mort s’est échappé » est aussi le premier scénario original écrit par Bresson.
    Tourné l’été 59 le film sort à Paris en décembre dans deux cinémas (le Mercury et le Madeleine) et totalise à peine 50 000 entrées pour cinq semaines d’exclusivité, ce qui n’est pas si mal pour un film de Bresson qui – à part le succès miraculeux du « Condamné à mort s’est échappé » – n’a jamais rencontré de grand succès public.
    Comme « Journal d’un curé de campagne » PICKPOCKET est un journal tenu par le personnage principal dont la main écrit les phrases dites en même temps en voix off. La main est un gros plan qui revient souvent en let motiv dans le film, les mains agiles, anxieuses, baladeuses des voleurs, accompagnées par la musique de Lully. Dans « Le condamné à mort », c’était Mozart.
    « Je sais que d’habitude ceux qui ont fait ça se taisent. Depuis plusieurs jours ma résolution était prise, mais en aurais je l’audace? ». Ces premiers mots écrits, vus, entendus de Michel / Martin Lassale lancent son apprentissage à voler, récit au présent (avec des ellipses). Le fait que dès le premier vol dans un sac à mains de dame, il soit arrêté et que faute de preuve suffisante, l’inspecteur le libère et lui rende l’argent va inciter Michel à jouer les surhommes et braver les interdits « Je n’avais plus les pieds sur terre, je dominais le monde ». Jouissance et perversion de l’art de voler au-dessus des lois, jeu du chat et de la souris.
    Mais qui va se transformer en un chemin de croix – à nouveau – qui va se faire rencontrer Michel, homme seul et fuyant, plutôt antipathique, habitant dans une miséreuse chambre de bonne, avec Jeanne, aussi seule et triste que lui, mais visage lumineux de la jeune fille au coeur pur, et par ailleurs voisine de la maman de Michel qui se meurt. Marika Green (maman d’Eva Green) 75 ans – 16 à l’époque et petit rat à l’opéra de Paris – nous racontait l’autre soir que Bresson leur faisait réciter à Martin et elle, ses modèles, le texte jusqu’à la neutralité et lorsque les (nombreuses) prises avaient lieu il leur répétait « Ne pensez surtout pas (à) ce que vous dites et faites », jusqu’à bannir, gommer tout signe de jeu, une trentaine de prises par exemple pour dire un oui ou pour dire un non. Bon, des signes il en reste encore lorsqu’on ausculte bien le film, de ci de là. Mais Marika Green et Martin Lassale par leurs visages, leurs mots et leurs silences, ont un rayonnement particulier de douceur et de fièvre, d’attente et « d’évidence » tout à fait étonnant.
    A l’instar de Michel disant à Jeanne « Oh Jeanne pour aller jusqu’à toi quel drôle de chemin il m’a fallut prendre », on peut mettre cette phrase dans la bouche de Bresson pour révéler son cinématographe.
    « Tout à peut être une raison » répond Jeanne à Michel un peu plus avant dans ce film froid et tranchant d’exécution – magnifiques longues séquences chorégraphiées sans dialogue de vols et manipulations dans le métro, sur les champs de course et à la gare de Lyon – sans un poil de graisse, mais bouillonnant de l’intérieur.

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