1 août 2014

Pattes blanches (1949) de Jean Grémillon

Pattes blanchesDans un petit village breton, le mareyeur Jacques Le Guen revient de la ville avec Odette, une belle jeune femme qui devient rapidement le centre de toutes les attentions. Il y a là le châtelain ruiné Julien de Keriadec, surnommé Pattes blanches en raison des guêtres qu’il porte et qui vit seul dans sa grande demeure, et son jeune frère batard Maurice… Pattes blanches fut écrit par Jean Anouilh (aidé de Jean Bernard-Luc) dans le but de le réaliser lui-même. Une grave maladie le força à demander à Jean Grémillon de le porter à l’écran à sa place. Celui-ci accepta à condition de transposer l’intrigue du XIXe siècle à l’époque actuelle et en Bretagne. Cette histoire est remarquablement écrite, avec des personnages forts et denses : c’est une variation assez noire sur le thème de la séduction, de l’attraction, du ressentiment. La richesse de l’histoire vient en grande partie de la palette de caractères décrits : les cinq personnages principaux sont à la fois complexes et très différents. Tous les rôles sont brillamment tenus, avec une rare intensité. Michel Bouquet est vraiment étonnant, dans un registre « halluciné » qui lui allait si bien au tout début de sa carrière (il a ici 24 ans). Mal né, Pattes blanches n’a jamais rencontré le succès qu’il mérite. C’est pourtant un film superbe.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Fernand Ledoux, Suzy Delair, Paul Bernard, Michel Bouquet, Arlette Thomas, Sylvie
Voir la fiche du film et la filmographie de Jean Grémillon sur le site IMDB.

Lire aussi : l’analyse de Yann Gatepin sur le site DVDClassik …

Voir les autres films de Jean Grémillon chroniqués sur ce blog…
Voir les livres sur Jean Grémillon

Une réflexion sur « Pattes blanches (1949) de Jean Grémillon »

  1. « ECRIT AVEC DU SANG »

    Dans la nuit. On perçoit une falaise surplombant la mer en arrière plan. Pano droite gauche. Une camionnette sur la route, traversant la lande. La caméra poursuit le véhicule puis s’approche. A l’intérieur, un homme, une femme. Des gens «simples» apparemment. Elle semble jolie, protégée d’un manteau de pluie, un foulard couvrant sa chevelure. Elle scrute, curieuse, inquiète. Plus vieux qu’elle, pas très beau, il se veut rassurant et protecteur. Elle voit un quelque chose de particulier. Contre champ en légère contre plongée: «Le Manoir de Keriadec» dit-il. Dessus sa guimbarde, on peut lire: Jock Le Guen Erquy. Puis, un petit port et quelques maisons. Arrêt sur une place. Ils descendent. Comme Odette, nous pénétrons dans le monde de Jock Le Guen et dans le film de Jean Grémillon, «Pattes Blanches» et bien des «choses» sont d’ores et déjà dites. En fait, voilà la même démarche, ou presque, et une écriture semblable à celles des «Portes de la Nuit» de Carné, ou de «Une si jolie petite plage» d’Yves Allégret, précédemment sortis, depuis cette Guerre, cette Occupation, cette Libération….
    Et donc, comment allons-nous en sortir de ce décor ainsi immédiatement planté ? Que restera-t-il de Jock et d’Odette dans 90 minutes ? Ils mourront, bien sûr. Elle, assassinée en robe de noces et face à la mer. Lui, suicidé dans un bordel. Odette, l’ouvrière, belle, «aguichante» ne peut «s’en sortir», pire, s’accomplir, que comme femme objet, que l’on dissimule («c’est ma nièce» ment Jock aux autres hommes pas dupes) et que l’on exhibe comme un trophée, que l’on manipule pour nuire à un tiers, que l’on tue parce qu’elle résiste. Telle une poupée, Odette ôte ses habits et foulard pour laisser voire ses formes appétissantes et ses belles boucles blondes. Cela au fur qu’elle s’installe dans ses meubles et jusqu’au moment où elle portera ses blancs atours de mariée. Elle aime la pénombre, et ferme sans cesse les volets, y compris au Manoir, pour séduire le châtelain. La Lumière est rare et signifiante chez Grémillon. Souvenons nous de l’appartement de «l’Etrange Mr Victor» ou de bien des scènes de «Remorque» (l’appartement de Gabin/Renaud également). C’est sous la lumière crue bretonne que De Keriadec/Pattes blanches s’en va, en calèche, se constituer prisonnier et échapper à sa névrose. On le suit, en plan fixe, de dos jusqu’au mot FIN. Le spectateur reste seul, à demeure, au petit port.
    Personne ne «l’emporte» dans «Pattes blanches» Odette, Jock, le bourgeois exploiteur des marins-pécheurs, l’aristocrate ruiné, et même le fiévreux lumpen/voyou Maurice qui ne parvient à se venger de son triste sort de bâtard du château. Et même Mimi la jeune bonne bossue(photo ci contre, Arlette Thomas et Pierre Bernard) de Jock et d’Odette, malheureuse comme les pierres de granit, qui finit, loin de ses rêves de Cendrillon, gardienne du Manoir et d’un vieux cheval nommé César ! Elle attendra son carrosse
    Sans cesse encore, les personnages apparaissent au travers des carreaux d’une fenêtre ou bien d’une verrière ou bien encore d’une sorte de jardin d’hiver. Parfois la caméra tient lieu d’œil et perce avec nous ce qui se trame de l’autre côté. Ainsi lors du Bal final des Noces, aussi somptueusement accompli que celui de l’ouverture de «Remorques ». Est-ce pour souligner la solitude et l’incommunicabilité des personnages ? Ou, alors, afin de se distancier d’un naturalisme vulgaire que l’on voit poindre à côté d’un lyrisme effréné ? Pour les deux raisons, probablement.
    Il est admis que « Pattes blanches» ne fait pas partie des meilleurs Grémillon. Sans doute parce que l’auteur ne veut choisir entre ce naturalisme naissant (dans le cinéma français d’alors) et cette passion lyrique, unique parmi ses compatriotes, et digne du tout meilleur Douglas Sirk, voire d’un Mizoguchi. Ou parce que le scénario de Jean Anouilh, ne pouvait lui convenir, ce qui reste à prouver. Ou tout simplement, parce que les critiques et historiens ont tiré une croix, une fois pour toutes, sur cette déroutante période (45/50) de l’après guerre où l’avenir radieux ne s’imposa pas sur les écrans, comme il aurait convenu.
    Paul Vecchiali a encore vu juste: « Il y a des films que l’on jurerait écrits avec du sang, tournés comme un cauchemar, vécus à fleur de peau. « Pattes blanches » est de ceux-là. Et ils sont rares» (L’Encinémaclopédie)
    «Pattes Blanches» n’est pas rare. Il est exceptionnel. Et son créateur est bien le «Roi Maudit» de cinéma français.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *