2 février 2012

Ivan le terrible (1945) de Sergueï Eisenstein

Titre original : « Ivan Groznyy »

Ivan le terribleUltime œuvre d’Eisenstein, Ivan le terrible est un film en deux parties qui était prévu pour en comporter trois. Le décès du réalisateur a laissé l’œuvre à jamais inachevée. Bénéficiant à nouveau des faveurs du pouvoir après Alexandre Nevski (1938), Sergueï Eisenstein met en chantier une grande fresque destinée à exalter la nation alors face à la menace allemande. Objet de tous les soins d’Eisenstein que ce soit sur le plan de l’écriture, de la préparation ou encore du tournage, la première partie d’Ivan le terrible ne sortira qu’en janvier 1945. Bien reçue par le pouvoir, elle obtient le Prix Staline. La deuxième partie sera terminée un an plus tard mais sera vivement critiquée par les autorités culturelles. Eisenstein devra faire son autocritique et commencera à travailler sur les corrections, travail interrompu par sa mort. La seconde partie ne sortira en URSS qu’en 1958, soit bien après la mort de Staline.

Ivan le terribleLe thème du film est de faire revivre les années de pouvoir du tsar Ivan IV dit Le Terrible (XVIe siècle), le tsar qui rassembla et unifia toutes les terres de Russie. Mais Eisenstein s’écarte ouvertement des faits historiques, il crée une grande tragédie aux accents shakespeariens, un opéra visuel au service de son propos. Il exalte la grandeur : tout est vertical, démesuré à commencer par le tsar lui-même (Nicolai Tcherkassov, acteur déjà de grande taille, avait certainement plus que des talonnettes), les plafonds restent souvent hors de notre vue tellement ils sont élevés.

Ivan le terribleIvan le terrible est aussi une tragédie sur le pouvoir, sur la nécessaire intransigeance et l’isolement qui en découle, sur le doute qui s’insinue. Ivan a d’ailleurs plus à se défendre de ses proches que des ennemis de la nation. Ces éléments entraineront la condamnation officielle de la seconde partie. Il est plus que probable qu’Eisenstein ait voulu dépeindre Staline au travers d’Ivan, ou au moins a-t-il voulu mettre en garde contre les dérives du pouvoir d’un seul homme.

Ivan le terribleIvan le terrible est un film extrêmement abouti sur le plan visuel. Chaque plan était préparé, dessiné et Eisenstein ne filmait que lorsqu’il allait avoir exactement ce qu’il voulait. La beauté et la force des images est sans égal. Eisenstein n’a sans doute jamais été aussi loin dans ses plans de visages. Plus que les visages, ce sont les yeux… Dans aucun autre film, les yeux des personnages n’ont tant d’importance, il y a une incroyable force qui se dégage des yeux des personnages.

La première partie peut être jugée plus conventionnelle, il est d’ailleurs intéressant de noter qu’elle raconte plus. La seconde partie est plus forte, plus shakespearienne. Ivan le terribleLa couleur apparaît trente minutes avant la fin (grâce à une prise de guerre des russes : le stock de pellicules couleur d’une usine allemande Agfa). Nous avons alors un (hélas trop court) échantillon de l’utilisation de la couleur par Eisenstein. Il ne l’utilise pas pour montrer la réalité, non, il utilise la couleur comme un peintre : il peint ses scènes, les anime par la couleur, il utilise la couleur pour exprimer des sentiments.

Plus que tout film, Ivan le terrible est la fusion de toutes les composantes de l’art au service d’une idée, d’un propos. En ce sens, sa beauté n’a rien de formelle. C’est un film puissant, fascinant.
Elle:
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Nikolai Cherkasov, Lyudmila Tselikovskaya, Serafima Birman, Mikhail Nazvanov, Mikhail Zharov
Voir la fiche du film et la filmographie de Sergueï Eisenstein sur le site IMDB.

Voir les autres films de Sergueï Eisenstein chroniqués sur ce blog…

6 réflexions sur « Ivan le terrible (1945) de Sergueï Eisenstein »

  1. Votre chronique donne envie ! Très sympa, cette anecdote sur la couleur. Connaissez-vous d’autres films qui ne sont colorés que pour partie ?

    Bonne journée.

  2. Certains films des années 20 ne sont qu’en partie colorés, mais là, c’est pour une autre raison puisqu’il s’agit parfois (mais pas toujours puisque le Technicolor 2 couleurs date des années 20, voir Le Pirate Noir avec Douglas Fairbanks) de coloriage à la main. Parfois, seuls certains objets sont en couleurs : l’un des plus beaux exemples de ce type est Greed (Les Rapaces) d’Eric von Stroheim.

    Sinon, je n’ai pas de film où la couleur apparaît soudainement qui me vienne à l’esprit. Il y a toutefois des films dans les années 50 et 60 qui sont partiellement en noir et blanc pour des raisons de budget (je pense par exemple à Les chevaux de feu de Sergei Parajanov).

  3. Andreï Roublev de Tarkovski est tourné en noir et blanc. Tout à la fin les fresques qu’il a peintes apparaissent en couleur. C’est un très beau film.
    Merci pour votre blog où on peut se laisser porter de films en films, connus ou pas…
    JCl

  4. Merci de cette précision.
    Cela me fait penser aux films d’Albert Lewin : Le Portrait de Dorian Gray (1945) et Bel Ami (1947) où il y a également une peinture en couleurs dans un film en noir et blanc.

    Andrei Roublev est effectivement un très beau film (comme tous les Tarkovsky d’ailleurs). J’aimerais le revoir car cela fait longtemps que je l’ai vu…

  5. Au sujet des couleurs de films en noir et blanc :
    – outre « Le Portrait de Dorian Gray », il faut citer la deuxième version de « Jour de fête » de Tati, comportant des incrustations en technicolor, qui ajoute une touche poétique supplémentaire à l’univers du film.
    – la dernière séquence de « La Belle Américaine » de Robert Dhéry et les Branquignols (1961) est également en couleurs, sans que les raisons, esthétique ou technique, ne puisse expliquer ce résultat…

  6. Merci pour ces précisions.
    Ah, Jour de Fête, il faudrait que je le re-regarde… Il a été tourné avec deux jeux de caméras, noir et blanc et couleurs. Dans la version noir et blanc, si j’ai bonne mémoire, on avait des petits fanions en couleurs (fait au pochoir, je crois).

    La belle américaine, je ne l’ai pas revu depuis une éternité! Je ne me souvenais pas d’une dernière séquence en couleurs. Apparemment, il s’agit de contraintes financières : les producteurs avaient refusé à Robert Dhéry et Pierre Tchernia de tourner en couleurs car le procédé était particulièrement coûteux. Au vu des premiers rushes, les producteurs finirent par accepter. C’est pourquoi seule la fin est en couleurs.
    C’est effectivement, le cas le plus similaire à celui d’Ivan le Terrible.

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