10 janvier 2012

Quai des Orfèvres (1947) de Henri-Georges Clouzot

Quai des OrfèvresIssue de milieux modestes, la chanteuse Jenny Lamour est bien décidée à faire une belle carrière dans le music-hall. Elle accepte un rendez-vous avec un producteur libidineux qui lui fait miroiter un contrat. Elle déclenche ainsi la colère de son mari jaloux, Maurice, qui profère des menaces de mort à l’endroit du producteur… Quai des Orfèvres est le premier film tourné par Clouzot après la Libération (1). Il revient au genre policier et adapte à nouveau un roman de Stanislas-André Steeman (2). Mais ici, ce n’est pas tant l’intrigue policière qui est le point fort du film, c’est la peinture des personnages dans leur environnement sentimental et social. Les quatre personnages principaux, très différents, sont des personnages complexes, à plusieurs facettes, dont le comportement est régi des forces parfois contradictoires. Grand perfectionniste, Clouzot les replace dans leur élément naturel qu’il décrit avec force détails. La photographie est superbe, Simone Renant et l’éclatante Suzy Delair en sont les premières bénéficiaires. Louis Jouvet est très juste dans son jeu. Quai des Orfèvres dépasse le simple cadre du film policier. C’est un film très humaniste.
Elle: 4 étoiles
Lui : 5 étoiles

Acteurs: Louis Jouvet, Simone Renant, Bernard Blier, Suzy Delair, Pierre Larquey, Charles Dullin
Voir la fiche du film et la filmographie de Henri-Georges Clouzot sur le site IMDB.

Voir les autres films de Henri-Georges Clouzot chroniqués sur ce blog…

5 réflexions sur « Quai des Orfèvres (1947) de Henri-Georges Clouzot »

  1. Clouzot était un grand admirateur de Georges Simenon et il lui adresse un clin d’œil dans ce film. Il y a quelques passages significatifs. Entre autres, l’inspecteur Antoine (Jouvet) ne fume que la cigarette, mais lors de sa visite au couple Martineau (Blier-Delair), il fume la pipe, comme Maigret… Dans les bureaux du Quai des Orfèvres, lors de l’interrogatoire de Blier « à la chansonnette », une appellation utilisée par Maigret, l’atmosphère semble être un copié/collé de celles décrites par Simenon. Et quand il rend visite à Suzy Delair dans sa loge et qu’elle lui dit qu’il fait un joli métier, il lui montre un journal où l’on parle de l’arrestation de l’assassin de l’inspecteur Février ; or, le bras droit de Maigret s’appelle Janvier. Cela n’a jamais été dit, mais cela n’a pas échappé aux « simenoniens »…

  2. Merci pour ces intéressantes précisions. Effectivement, « Inspecteur Février »… c’est indéniablement un clin d’oeil!
    Etonnant!

  3. LA GRANDE DESILLUSION

    Alternance du clair et de l’obscur au cours d’une longue nuit d’hiver, des chevauchements d’image et de son, une transparence dynamique, un montage «attractif», une profondeur de champ, une dialectique du premier et second plan, des miroirs à foison, larges ou étroits, reflets d’une société ou d’un sentiment isolé. C’est presque trop parfait, comme trop bien récité.
    Et, quand l’inspecteur Antoine/Jouvet pénètre l’écran (au dessus d’un devoir de géométrie évidemment) l’alerte passe. Le mouvement s’apaise. Il rentre au Quai. Le dialogue prime. Brillant, mordant, ironique, drôle, cynique. Après tant de projections, on se régale encore. Et puis, il y a toujours son Petit Tra-Lala !
    Mais l’entrée du film l’emporte sur tout.
    A part çà, tout à été dit, écrit, tout et son contraire:
    Exemples:
    François Guérif (Le cinéma policier français): « Un document réaliste sur la police judiciaire et le portrait lucide d’une France rendue à ses désillusions après le départ de l’occupant. Le flic intègre, incarné par Louis Jouvet, met à nu les combines et les corruptions d’une société qui n’a pas changé » Bien sur.
    Marcel Oms (Cahier de la cinémathèque n°25): « Le portrait le plus implacablement lucide de la France d’après guerre à travers le portrait d’un flic sceptique, désabusé et banalement quotidien » Exact.
    Paul Vecchiali (L’Encinéclopédie): « La dramaturgie est tellement préfabriquée aux dépens des hommes et de femmes de ces histoires que ces derniers ne sont plus que des marionnettes ». Oui, sans doute.
    Paul Vecchiali encore: « Déplaisant et mesquin ce film ne parvient même pas à être sauvé par Simone Renant » Non….
    …Enfin si. Renant(photo) et les autres sauvent ce film qui, d’ailleurs n’a peut être pas besoin de l’être.

  4. UN TRAVAIL d’ORFEVRE

    Bon anniversaire Suzy! Notre doyenne des comédiennes/chanteuses françaises demain souffle ses 100 bougies le 31/12/17. Un record! Celle qui chantait déjà et rêvait de percer dans LE DERNIER DES 6 sous le pseudo de Mila Malou ! La même qui se rêvait toujours en haut de l’affiche et parvenait à donner son premier récital public au milieu des locataires de la pension de l’avenue Junot, et comprenait par la même occasion au cours de sa chanson qui était l’assassin qui habitait au 21, notre Suzy accédait à la reconnaissance du public. Jusque là il faut bien dire que Suzy juste armée de son bagout naturel et sa voix gouailleuse se révélait plutôt moyenne comédienne. Mais en 47 la voilà, toujours en quête de chanter sur scène dans un vrai théâtre et prête à tout pour ça, toujours guidée par son mentor et compagnon Henri Georges Clouzot, là voilà qui arrive à décrocher une chanson à l’Eden de Ménilmontant sous le pseudo de Jenny Lamour et gagne en même temps ses galons de bonne comédienne/chanteuse, tant le rôle lui colle à la peau. Cette séquence de la chanson enchaînée qu’on découvre au fur et à mesure d’abord en studio, puis en coulisse, puis en répétition, puis sur le plateau avec le public et en costume est génialement conçue
    « Il en était de plus belle / mais elle avait pour elle
    Une chose exceptionnelle / que les autres n’avaient pas
    Avec son tra-la-la, son petit tra-la-la
    Elle faisait tourner toutes les têtes
    Ce qui les troublait à l’extrême, qui les rendaient fous de désir
    C’était pas la chose en elle même, c’était la façon de s’en servir
    Avec son tra-la-la…. »
    Et c’est bien là le problème , c »est ce tralala exhibé à tous qui rend l’excellent Bernard Blier, son mari et son accompagnateur au piano, fou de jalousie (Clouzot a beaucoup traité de la jalousie dans ses films). Il faut voir comment notre Suzy pour faire pardonner ses incartades auprès de son mari, lui ouvre dans un travelling avant son manteau de fourrure sous lequel elle apparait en guêpière et porte jarretelles! Pour dire que Suzy avait du chien comme ça se disait à l’époque. On ne sait pas trop comment ça se passerait aujourd’hui sur un plateau de tournage d’un film de Clouzot avec l’affaire Weinstein et Balance ton porc! Suzy aussi a reçu une gifle de son tyrannique mentor qui cherchait…la perfection.
    L’oeuvre de Clouzot retrouve un regain d’actualité avec la re-sortie en salle , en cinémathèque, en expo, et avec l’édition restaurée Dvd de l’intégrale (il n’a fait que douze films), juste ce qu’il faut pour reconsidérer la maestria du cinéaste, sa patte toute en noirceur mais parfois attachante de l’humanité, cette vie grouillante de seconds rôles typiques et de lieux d’alors dans ce Paris de l’après-guerre avec ses métiers, ses quartiers, ses habitants, ses music-halls, son métros, sa police que la photo noir et blanc aux cadres très travaillés d’Armand Thirard met si bien en valeur. On a comparé parfois Clouzot à Hitchcock pour cette maitrise technique et formelle préparée en story boards très découpés, et le cinéaste n’a jamais démenti cette comparaison; il était du reste un des rares cinéastes français de l’époque dont le nom fut connu du grand public
    Ce QUAI – qui s’appela d’abord « Légitime défense » du titre du roman dont il s’inspire, puis ensuite « Joyeux Noel » parce qu’il se termine cette nuit là est remarquablement conté, construit, interprété et mis en scène, ce sont ces deux dernières évidentes qualités qui ont fait la renommée du film et aujourd’hui encore soixante dix ans après sa sortie, comme c’était le cas à l’époque puisqu’il reçut le grand prix de la mise en scène à Venise en 47
    On retiendra aussi des savoureux dialogues écrits par Clouzot lui même cette fameuse réplique de l’inspecteur adjoint Louis Jouvet à Simone Renant la photographe, les deux autres protagonistes de l’histoire, réplique au décryptement audacieux pour l’époque : « Je vais vous dire, vous m’êtes particulièrement sympathique mademoiselle Dora. Parce que je vais vous dire, vous êtes un type dans mon genre. Avec les femmes vous n’aurez jamais de chance. »
    Tout a disparu aujourd’hui de ce film, tout sauf Suzy et le film
    Joyeux anniversaire Suzy !

  5. Effectivement, Suzy Delair sera centenaire demain. Merci de la souligner. Il est vrai que, contrairement à Danielle Darrieux par exemple, elle a beaucoup moins tourné après les années 60, c’est dommage car l’actrice a fait de superbes interprétations, assez inoubliables. Joyeux anniversaire Suzy Delair.

    Sinon, je trouve très bien que Clouzot bénéficie d’un regain de visibilité. Personnellement, je le mets sans hésiter parmi les 5 plus grands réalisateurs français.

    Enfin, à propos de l’affaire Weinstein, je ne pense pas que le fait de dénoncer les abus de pouvoir et le machisme n’entraine la disparition du jeu autour de la sexualité dans les rapports hommes/femmes, que ce soit dans la vie ou au cinéma. Il s’agit juste d’être un peu plus civilisés…

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